Un esprit de retour

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L’écoute de son corps est une discipline qu’il est très difficile d’acquérir. Que ce soit au niveau de nos réserves d’énergie restante, de notre capacité à gérer le stress, de la guérison d’une blessure ou encore du message que veut peut être dire certaines douleurs il n’est jamais aisé de savoir avec exactitude ce que nous cache notre belle machine.

Cette deuxième année de marche m’a en quelques sortes donné un faible aperçu de la complexité que peut prendre cette écoute.

Il n’y a pas énormément de choix au niveau du chemin à suivre pour cette apprentissage si long et passionnant  : De la solitude, des épreuves à risques dans un grand niveau de dénuement ainsi que un esprit possédant cette formidable acuité que seul le nomadisme arrive à procurer.

A l’écoute… J’ai toujours apprécié ce mot-là. Parce que chaque langage possède sa propre structure, il en est de même pour celui que revêt notre propre corps lorsque un dialogue entre l’esprit et ce dernier se crée.

Je restais quinze jours chez Eva ; Celle-ci me considérait désormais presque comme son fils et refusais l’argent que je lui donnais pour la chambre.

De la tranquillité dans un certain niveau de confort, voilà ce dont j’avais besoin avant de repartir. Je passais beaucoup de temps les premiers jours à trier mes photos et vidéos et à réparer mon matériel des quelques dommages que l’incendie avait causé. Je me mis ensuite à l’écriture du récit de ce mois en ermitage que je venais de vivre. Cela m’occupa au moins une semaine.

Tous les jours je me rendais au centre du village, utilisant la connexion internet d’un des bars du village tout en sirotant un chocolat chaud.

J’essayais de marcher quatre ou cinq kilomètres par jour, mon genou étant encore bien douloureux.

La première semaine passée, je décidais de revenir sur les lieux de ma cabane ; J’étais partis un peu comme un voleur, ayant laissé la majorité de mon matériel brulé. De plus cela allait me permettre de voir un peu comment mon genou allait se porter.

La route étant encore fermé, je louais un vélo et partis à travers les montagnes pour trente kilomètres de misère absolue. Ma douleur se réveilla dès les dix premiers kilomètres et à partir de là je dus pratiquement porter la moitié du temps mon vélo, cela en boitillant, en tombant dans les descentes et en jurant comme pas possible. J’arrivais enfin, épuisé et dégouté de cette blessure qui pouvait tout changer dans ce voyage.

J’eu cette impression de revenir sur un lieu que je n’aurais jamais dus revoir… Les ruines de ma cabane, le reste de mes outils, un peu de mon mobilier rustique ayant été épargnés, cet endroit où j’avais passé de moments si purs et profonds s’était remplis depuis d’un mélange de tristesse et de mélancolie.

Je restais deux heures, à nettoyer et à prendre quelques dernières photos et films.

Le retour fut presque aussi pire que l’aller, je ne pouvais même plus pédaler tellement la douleur était intense. J’arrivais le soir complétement harassé.

Rentrer en France…. Cette éventualité arrivait de plus en plus à l’esprit et à vrai dire j’en était bien perdu à devoir y penser.

Je décidais donc de laisser décider mon corps. Je repartirais dans quelques jours, en direction des Carpates, puis je verrais comment cette douleur évoluerait. Si cela guéri je continu, si cela empire je rentre. C’est tout simple.

Je m’étais fais quelques connaissances à Jeseník, aussi je passais du temps avec eux ces dernières journées.

Puis la veille du départ arriva, je rangeais mon sac, fis des adieux et partis le lendemain à l’aube.

Reprendre la marche après presque deux mois d’immobilité me fit un bien intérieur fantastique. Mon corps était désormais le seul maître de mes décisions ; J’étais heureux, encore plus libre et soudain plein d’énergie.

Je pris de beaux sentiers serpentant à travers quelques petites montagnes ; Décidé à essayer tous types de terrains pour tester mon genou, je fis beaucoup de hors-pistes, coupant à travers des rivières, grimpant des pierriers, traversant des forêts de broussailles. Et bizarrement mes douleurs ne se manifestaient plus du tout, à croire qu’elles n’étaient jamais apparus.

Après une nuit près d’une belle rivière je démarra cette deuxième journée. Toujours rien, je débordais de force et malgré les 23 kilos habituels de mon sac à dos mon corps semblait ne pas s’en soucier.

Je ne comprenais plus grand-chose…

Je m’étais dis que je continuerais si jamais cela irais mieux mais l’idée d’un retour pour une année s’était implanté en moi. Ce que j’avais vu en négatif m’apparaissait maintenant comme plein de choses positives… Je pourrais repasser du temps avec mes amis et ma famille, écrire mes deux premiers livres, retravailler un peu, prendre un temps nécessaires afin de réfléchir dans quel état d’esprit je repartirais pour les derniers 5000 kilomètres de mon voyage… Bref j’étais tiraillé entre cette envie de continuer et de rentrer.

Me vient alors cette question du pourquoi de l’apparition de cette douleur… Etait-ce une sorte de signe apparu pour me faire comprendre qu’un retour était nécessaire ?

Je marchais deux nouveaux jours encore complétement indécis sur cette fameuse décisions.

J’avais faim de montagnes, de crêtes interminables, de semaines en autonomie, d’égarements et de grandes peurs, j’avais soif d’orages en altitude, de baignades en rivières et de sueur coulée par l’effort, j’avais besoin de voir de nouveaux pays et cultures, de nouvelles rencontres et de nouvelles surprises… Mais j’avais aussi besoin de penser à un équilibre que mon corps essayait surement de me montrer.

Et comme l’a si bien dit un ami : « La dernière part du gâteau sera toujours aussi bonne le lendemain, voir encore meilleure ».

J’allais atteindre les Carpates dans une semaine, aussi il me fallait décider pour très bientôt…

Et un petit matin je pris la décision : Je rentrerai en France pour un an et je repartirais de l’endroit où je me serais arrêté. J’en avait envie, j’en avait besoin, pourquoi cherchez plus loin ! Je m’étais refusé au début à cette idée, et pour quoi en fait ? Pour la fierté de ne pas revenir ? Pour ne pas « endommager » ma lancée dans cette marche solitaire ? Pour….. ?

J’arrivais à Dvorce le lendemain, un petit village assez pittoresque. Avant toute chose il me fallait trouver un endroit où laisser mon beau bâton de marche. Premièrement cela m’obligera à vraiment revenir à cet endroit précis et deuxièmement je ne voulais pas m’encombrer étant donné que je comptais revenir en partie en autostop.

J’avais prévue de me rendre à Prague pour une petite semaine avant de rejoindre les terres gauloise. Pourquoi Prague ? Et bien tout d’abord car c’était une capitale que j’avais envie de visiter, que c’était sur mon chemin, et enfin il semblerait qu’une certaine marcheuse française, dont nos routes s’étaient déjà croisées à Riga, se rendait précisément à cette ville pour la période où j’y serais. Et oui Caroline ou encore plus connu sous le nom de Pieds Libres, repartait après quelques mois de pause en France pour la Russie afin de continuer son tour du monde à pied.

Lorsque je l’avais rencontré pour la première fois en Lettonie, celle-ci repartait en France alors que je poursuivais ma route, cette fois ci la situation s’en trouvait inversée.

La coïncidence était belle, pleine de sens pour moi car elle me confortait que l’idée de ce retour était une bonne décision.

J’entrais dans un petit bar-restaurant, expliqua à une charmante serveuse mon projet de marche et finis par deux petites questions :

–  Est-ce que vous penserez être toujours là l’année prochaine ?

– Cela vous dérangerait il de garder mon bâton avec vous jusqu’à ce que je revienne ?

Andrea, de son prénom, accepta avec plaisir, quand même bien surprise de cette requête peu ordinaire.

Débarrassé de mon fidèle compagnon, je me sentais comme estropié d’un membre…. J’espère que je le récupérerais.

Je dressais ensuite le pouce et enchaina deux jours de stop jusqu’à Prague.

Passer de la marche à l’autostop c’est un peu comme passer du foie gras d’un producteur au foie de volaille top budget : C’est plus dur à avaler.

Je rentrais dans cette immense ville, posais mon sac à une auberge de jeunesse et sortis me balader. Que de monde, que de foule, que d’appareils photos, que de décolletés plongeant et de jupes remontantes. A oui c’est vrai l’été touristique est là !

Une découverte d’un nouveau gadget que la moitié des touristes semblaient avoir adopté me fit dresser les poils : Le mat télescopique à selfie ; Le monde est-il en train de devenir fou ?

Je me rendis le lendemain à la gare routière afin de rejoindre Caroline comme on se l’était convenu ; Les retrouvailles furent vraiment sympas, on se revis comme de vieux amis que le temps n’avait pas séparé.

Elle me conta ces six mois qu’elle venait de passer en France, je lui conta l’hiver et mon ermitage que j’avais vécu. On avait tellement de choses à se dire.

Ce qui est bien lorsque l’on s’apprête à passer une semaine avec une personne ayant plus de treize mille fans sur sa page d’un célèbre réseau social, c’est que ce n’est pas les invitations qui manqueront !

Caroline avait été contacté par Veronika, une professeur de français l’ayant invité à passer la semaine chez elle et son ami ; Ma venue ne semblait pas du tout leur poser de problèmes et je me retrouvais le soir même en compagnie de ce joli couple et de cette passionnante marcheuse.

Durant les deux premiers jours Caroline et moi nous rendons à l’école de Veronika où celle-ci nous présenta à deux de ces classes afin de nous permettre, par des petites conférences, de leur expliquer nos projets respectifs.

Ce fut très sympa, les élèves, bien que leur compréhension au Français nous obligeait à parler assez simplement, furent très intéressant par leurs questions et réponses.

On visita ensuite la ville en compagnie de Martins, un guide tchèque de vingt-quatre ans parlant un français vraiment parfait. A l’image de Veronika il avait connu Caroline sur internet et lui avait proposé de lui faire un tour de la ville.

La visite en sa compagnie fut agréable, mais devrais-je écrire un paragraphe descriptif de Prague, vanter ces belles ruelles pavées, ces labyrinthes de petites rues étroites, ces beaux monuments ? A quoi bon, cela ne serais que radoter des phrases pré faites sans vraiment trop de sens pour vos yeux, et aux miens en l’occurrence.

Et enfin, nous rencontrons, toujours par le biais de Caroline, Lena, une hongroise de vingt-neuf ans ayant comme projet de partir prochainement de son pays jusqu’à Istanbul, tout cela à pied et seule. Elle s’était donné environ un an de marche et ces beaux yeux brillaient d’avance à la simple évocation de ce futur voyage.

Il n’y a pas de chose plus belle qu’une personne arrivant à mettre du concret sur un rêve la passionnant ; J’ai eu rencontré de ces gens me parlant par moments de projets fantastiques mais que l’on sentait au fond d’eux que cela n’aboutirait jamais, faute d’investissement, de passion ou de confiance…

Cette Lena, qu’un calme et une sérénité déconcertante émanaient de par sa simple énergie, je n’ai pas douté d’elle une seule seconde.

Elle était en recherche de conseils, que ce soit sur le point de vue matériel ou du mode de vie de marche nomade, et bien en face de deux « professionnelles » de la sorte tel que Caroline et moi, elle fut abreuvée de toutes nos astuces, bons plans, mises en garde et encouragements possibles.

Il y a de ce genres de rencontres qui donne foi en l’humanité, offrant une véritable excitation aux capacités de l’être humain à voir l’unique, à trouver le courage de sortir d’un moule pour adopter l’inconnu, à croire en soi-même autant qu’à la vie. Cette femme en fait partie et je lui souhaite tout le meilleur que son voyage lui apportera.

Nous passons les derniers jours tranquillement, à nous balader dans la ville, à prendre du temps avec Veronika et Ondrej et à cuisiner quelques petits plats.

Puis vint le jour du départ pour nous deux ; Caroline allait reprendre le fil de son voyage qu’elle avait interrompu en Russie, puis poursuivre par la Corée et le japon pour enfin passer en Amérique.

Une longue route s’étendait désormais devant elle, elle ne comptait pas revenir avant plusieurs années. De plus son périple à pied se déroulera désormais en solitaire ; Etant donné que ces trois dernières années de marche s’étaient passées en compagnie de plusieurs compagnons, cela sera une grande nouveauté pour elle.

Ayant été vraiment lassé de la pratique de ces deux jours d’autostop j’avais pour ma part trouvé un covoiturage reliant Prague à Lyon.

Cela allait être mon deuxième retour après un long voyage ; Je commençais à en être habitué.

Deux choses sont à savoir lors de ce genre de moment :

La première c’est qu’il ne faut s’attendre à rien ; Ne pas idéaliser les retrouvailles, ne pas croire que tout a changé et que tout changera. Le crayon que vous avez laissé dans votre tiroir n’aura pas bougé et écrira toujours du même ton. Il en va de même pour les personnes et les lieux.

Les premières semaines seront fantastiques, vous retrouverez tous ceux qui vous ont manqué durant plus de un an, vous raconterez vos aventures, ils vous raconterons les leurs ; Puis cela s’estompera, on ne reparle que très rarement d’un voyage passé, vous aurez plutôt envie de construire de nouveaux souvenirs avec vos proches, d’avancer dans vos projets de sédentaire. La magie intérieure que le nomadisme arrive à créer en vous se dissipera au fur et à mesure : Les gens deviendront moins beaux, les petits détails vous échapperon, vous saurez de nouveau qu’elle jour il est et ce que vous ferez la semaine prochaine.

La deuxième «mise en garde » concerne vos vérités de vie acquises tout au long de votre périple. Elles ont pris un tournant brusque face à l’adversité vécu, vos rencontres, vos temps de réflexion, votre absence de jugements et d’idées reçus. Elles sont difficiles à afficher et bien que vous les considérez comme vrai il faut comprendre qu’elles ne le sont que pour une seule et unique personne au monde : Vous-même. Il devient tout de suite plus difficile, enfin du moins pour ma part, de ne plus établir de jugements sur certains choix de vie ou mode de pensés des autres. La valeur du respect prend alors tout son sens malgré sa difficulté croissante que ce genre de voyage nous amène.

Je partis donc un beau matin après un nouveau au revoir à Caroline. Mon covoiturage eu l’ironique chance d’être mené par le français le plus ennuyant du pays. Je vous laisse imaginer ce que dix heures de trajet peut être en compagnie d’un formidable bavard ayant à la bouche trois sujets : L’inflation du prix de la vie, le football ainsi que les différents problèmes politique de l’entière Europe.

Et puis enfin j’arrivais à Lyon. Un an… Voilà le temps que je me donnais avant de repartir sur les chemins.

Etait-ce le bon choix ? Y’a-t-il un bon choix ?

Je n’ai pas forcément de conclusion pour ce deuxième gros chapitre de cette marche à pied, ou du moins cela serait vraiment trop osé de vouloir résumer ce genre de vécu en un petit paragraphe. Les graines plantées au kilomètre zéro de ce mois de novembre 2012 ont germé, la récolte a été plus qu’abondante et continuera de l’être.

J’espère enfin avoir réussi à exprimer mes différents ressentis, peurs et émotions à travers toutes ces lignes que vous avez lu.

Que dire de plus….

A bientôt !

Jérôme

 

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De joyeux bivouacs près de rivières

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Quelques jours de reflexion par rapport à ce retour

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Dernière soirée de nomade

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Je me rends à Prague en autostop

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Et retrouvailles avec Caroline (Pieds libres) pour une semaine passé avec elle

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Hébergé par Veronika et son compagnon, nous donnons quelques petites conférence aux différentes classes de français

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Quelques cours d’harmonica

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Rencontre de Lena, une hongroise ayant comme projet de ralier depuis son pays Istanbull, cela seule et à pied.

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Veronika et Ondrej qui nous ont accueillis durant la semaine

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De bons moments passés à visiter la ville

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Et de retour à Lyon… Le chapeau et les chaussures seront ressortis dés avril 2016.

 

 

 

 

 

4 réflexions au sujet de « Un esprit de retour »

  1. Bravo Jérôme , maintenant tu vas pouvoir te reposer vers ton G.P. à notre Dame de Bellecombe . Il a construit pour toi à Francheville une cabane dans les arbres !!!!!il est un peu dingue , mais j’ai bien l’intention de retrouver mes sensations de louveteau ,en y couchant une nuit …….

    Bien amicalement et peut être au plaisir de te rencontrer .
    MICHEL

  2. Bonjour Jérôme,
    Merci pour tous les récits : un plaisir de les lire. Les photos : un plaisir de les regarder. J’ai suivi ton périple et celui de Caroline. Bravo !!!
    Rendez-vous l’année prochaine !

  3. Merci Jérôme pour tous tes récits, très personnels et authentiques, qui m’ont entrainé par l’esprit dans cette bien belle aventure. Ils réveillent une partie de moi-même qui ne s’est pas encore suffisamment exprimée.
    Au plaisir de te voir repartir et poursuivre ta route

  4. Merci beaucoup Jérôme pour ces récits spontanés, cette immersion dans le nomadisme, la nature, l’émerveillement, ce dépouillement, le pouls de nos chemins et forêts. L’itinérance, quand elle est choisie, fait que nous devenons riches de ce dont nous pouvons nous dispenser. J’ai été très sensible à vos réflexions sur l’équilibre entre le nomadisme et le sédentarisme. Lorsque l’on vit les deux, le compromis devient difficile, le manque inévitable dans un mouvement de balancier. En tout cas, c’est dans le mouvement qu’on trouve son équilibre n’est-ce pas ? Sinon, comment va votre genou ?

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