L’orientation en nature m’apparait de plus en plus désormais comme une école de valeurs indispensables. Je n’ai jamais eu un sens de l’orientation très développé, il ne le sera jamais comme certains peuvent l’avoir comme « don inné », pourtant je me vois de plus en plus attiré par cette merveilleuse activité.
Trois mots d’ordre pour cette discipline : Anticipation, patience et remise en question permanente.
Anticiper la voie dans laquelle on va évoluer est un travail où il faut un certain niveau en lecture de cartes topographiques. Comprendre les courbes de niveaux, les échelles, les indications d’environnements, les sources d’eau, le sens des rivières ; tout cela est une chose qui peut paraître simple au premier abord mais le plus dur consiste de réussir à visualiser la forme que va prendre ce terrain dont vous vous apprêtez à vous aventurer. L’indication d’une rivière sur la carte ne vous donne pas du tout sa grosseur, un chemin peut avoir été effacé ou modifié, un pan de forêt détruit. L’anticipation consiste alors à évaluer tout cet ensemble, à déterminer le passage dans lequel vous aurez le plus de chance d’avancer, à ne pas se borner à vouloir absolument rejoindre un sentier qui n’existe surement plus, à éviter les efforts inutiles en passant par des passages impossibles, à savoir utiliser les points de repères les plus efficaces (utiliser le soleil en guise de boussole, rester le plus possible en hauteur afin d’avoir un large point de vue, prendre en référence les montagnes d’une forme unique…).
Un bon navigateur est celui qui sait prendre chaque situation avec calme et patience, ce qui n’est absolument pas mon fort. L’orientation amène à un vécu de l’instant présent assez puissant, voir même trop puissant. Marcher un kilomètre en coupant à travers une forêt aux multiples dénivelés peut faire paraître cela comme une véritable éternité, pourtant cela ne représente que deux centimètres sur la carte. Il faut savoir persévérer en serrant les dents de son incertitude, supporter son gros sac à dos qui ne fait que vous ralentir, ne pas se laisser décourager par une armée de broussailles et de troncs d’arbres couchés. Mais le plus dur et éprouvant est lorsque l’on vient à douter de sa position et direction, lorsque l’on réalise que l’on a pris un mauvais versant et qu’il va falloir faire demi-tour.
La remise en question permanente est sans doute la valeur la plus belle et importante que l’orientation est en train de m’apprendre. J’ai souvent fais l’erreur de me focaliser que sur un point de repère assez incertain, puis me rendant compte ensuite que ce point n’était pas le bon. Il est toujours facile de se convaincre que nous sommes sur la bonne direction car nos yeux discernent bien ce qu’ils désirent voir. Avant de m’engager dans n’importe quel chemin je m’assure au maximum de savoir si c’est vraiment celui que je crois être. Les moyens pour le savoir sont nombreux : Avec mon altimètre, ma boussole, par triangulation, à l’aide des rivières, de la configuration des montagnes. Mais malgré cela il arrive par moment où je réalise que je me suis bien trompé. C’est pourquoi désormais je garde toujours une marge de doutes en m’obligeant à n’importe quel moment à réfléchir sur une autre position où laquelle je pourrais me trouver. Ne jamais être sûr est une approche philosophique sur soi-même amenant à voir les choses constamment sous un autre angle de vue.
Je pars bien déterminé sur la piste. C’est six kilomètres plus tard que j’arrive à mon premier village roumain : Luhei. Alors que je m’approche avec un énorme sourire j’aperçois un policier devant une barrière barrant l’entrée sur la rue principale. Oulalala ce n’est pas le moment de se faire prendre maintenant ; il faut que je m’éloigne au moins d’une vingtaine de kilomètres avant de ne plus craindre un contrôle. Je contourne le village en suivant la rivière à côté. Certains habitants dans leurs jardins me voient passer en catimini, à escalader les barbelés des propriétés sans trop faire de bruit. Je rejoins la route trente minutes plus loin toujours un peu sur le qui-vive.
Mes yeux vont et viennent aux habitations roumaines, aux petits détails surprenants et différents de l’ukraine. Un tracteur s’arrête à mon niveau, le conducteur m’offre un coca-cola glacé puis redémarre tranquillement.
Au fur et à mesure que je traverse de nouveaux petits villages je me fais souvent arrêter par quelques personnes curieuses de voir un randonneur dans ce coin. Le roumain étant une langue latine et bien que ce soit assez limité, il m’est bien plus facile d’établir un échange qu’en ukraine.
J’arrive à Poienile de Sub Munte peu après midi. Il y a plutôt foule et tandis que je fais ma pause dans un jardin public un groupe d’une dizaine d’enfants se décide à me tenir compagnie en me posant des pleins de questions auxquels je ne comprends pas grand-chose. Vladimir, un souriant fin comme une aiguille m’accompagne à travers les petites ruelles afin de me montrer un raccourci pour atteindre les montagnes à l’est. Je marche sur des sentiers en hauteur durant deux heures. La vue est magnifique et transpire d’une profonde touche de tranquillité. Mais c’est vrai que je suis dans les Maramures, une région du nord décrite comme ayant gardé le plus son authenticité. Sur le haut des montagnes je croise de nombreuses maisons rudimentaires possédant un simple potager, des animaux et une source d’eau à proximité. Certaines de ces dernières se trouvent regroupées en petits hameaux, d’autres semblent avoir préféré se tenir isolées.
Je coupe à travers une forêt avant de tomber sur un petit chemin que je suis sur six kilomètres. Une grosse pluie me surprend et je plante ma tente près d’une rivière. Une carriole tirée par un cheval bien maigre passe devant moi, une famille devant moi me salue avec de grands sourires.
Plus grand-chose à manger ce soir, j’en viens même à dévorer le reste de mes tablettes de vitamine C ; note à moi-même pour plus tard : L’accès de vitamine C le soir empêche tout bonnement de dormir avant les quatre heures du matin. Pour moi et ma gourmandise…
J’arrive à Viseu de Sus le lendemain, après dix kilomètres marchés le ventre vide. Je suis désormais assez éloigné de la frontière ukrainienne pour qu’aucun policier ne puisse voir que je ne suis pas entré dans le pays par le poste frontalier officiel. Le village est assez grand et touristique pour posséder un distributeur dans lequel je retire mes premiers Leu. Après un gros gouter bien mérité je me décide à rester dans le coin pour environ cinq jours. La traversée de l’ukraine m’a en effet bien fatigué et je compte rejoindre pour dans quelques jours un volontariat de trois semaines vers la ville de Baia Mare. Je suis très heureux de me faire une longue pause de la sorte. Voyager à travers les montagnes est fantastique mais le côté rencontre s’en trouve grandement diminué du fait de mon isolement dans la nature.
Je trouve un charmant camping tenu autour de la maison d’une famille. Je retrouve les joies de la douche, dont je n’avais pas vue la couleur depuis Zakopane en Pologne.
Les jours passent tranquillement tandis que je reprends des forces, écris mes récits, tris mes photos, me balade dans le village puis répare mon matériel abimé. Cela me fait bizarre d’être au milieu des touristes estivales.
Je pars un beau matin pour mon volontariat. Situé à cent cinquante kilomètres à l’ouest je m’y rend en auto-stop et bus. Je reprendrais mon chemin à pied à mon retour.
J’arrive non sans peine à Ulmoasa en fin de journée. Ce village reculé dans les montagnes est situé à une dizaine de kilomètres de la route de Baia Mare et doit comprendre à peine cinq-cents habitants.
Je ne sais pas grand-chose de l’endroit où je me rends ; Juste que c’est une école de permaculture en construction depuis quelques année. Une pancarte indique le lieu nommé « Baza Ulmu ».
Je grimpe une route, suis un chemin, passe devant quelques maisons puis guidé par une musique assez originale s’entendant dans toute la vallée, j’arrive à l’endroit promit. Une foule de personnes est présente, une bonne trentaine à vue de nez, tous activés à faire à manger, à plier leurs sacs à dos, à discuter. Tout en disant bonjour à tout ce monde j’arrive à trouver le propriétaire avec qui j’avais échanger les emails pour lui informer de ma venue.
-Hi Jérôme ! You were expected ! But it’s pity you come a little bit to late ! (Salut Jérôme ! Tu étais attendus ! Mais c’est dommage car tu arrives un peu trop tard !)
Andrew ou plutôt Adi m’explique qu’un gros rassemblement de personnes a lieu depuis ces quatre derniers jours. Le thème étant bien entendu la permaculture. Ce mot ne regroupe pas que la partie potager comme on pourrait le croire ; cela comprend l’ensemble des systèmes inspirés de l’écologie naturelle, donc essentiellement de la construction d’habitats.
Des passionnées du pays entier paraissent s’être retrouvés ici afin d’échanger leurs connaissances. J’arrive donc à la fin de la bataille. Deux volontaires français sont aussi arrivés trois jours avant et ont été aussi surpris que moi à leurs arrivés.
J’observe les alentours et l’endroit dans lequel je m’apprête à vivre pour ces prochaines semaines :
Au centre de tout trône une maison absolument pas comme les autres : Des murs de plus de quatre-vingt centimètres composés de centaines de sacs de terres empilés les uns sur les autres, un revêtement extérieur en grosses pierres et partie végétale, le toit est aussi surprenant que la forme de l’ensemble : Tout en milliers de fagots de roseaux fixés à une ossature en rondins de forme conique. A côté se trouve une cuisine en plein air, une grange dans laquelle l’étage est un véritable dortoir, des toilettes sèches, une douche extérieure reliée à un tuyau venant de la rivière d’à côté, un cellier a été construit en sacs de terre puis recouvert d’un mètre de terre, cela offre une vue d’une maison de hobbit. Le gigantesque potager n’est pas des moindres : Installé sur une pente douce, tout a été réfléchi afin que l’ensemble soit auto-irrigué, cela à l’aide d’un système de tranchées récupérant l’eau de pluie.
Je discute pendant quelques temps avec plusieurs personnes encore présentes sur les lieux. Ils vivent pour la plupart dans des éco-lieux de la sorte. La plupart du temps ils ont acheté un bout de terrain à plusieurs puis ont décidé de construire leurs lieux de vie à partir de presque rien. Certains me disent avoir commencé il y a plus de deux ans et en être encore au commencement.
-On ne se rends absolument pas compte de tout le travail de début que nécessite un tel mode de vie ! On n’a pas forcément de machines voir même d’accès à l’électricité, du coup tout prend un temps fou pour chaque chose construite, me dit un belge étant venu s’installer en roumanie depuis quelques années.
Il poursuit :
– Il faut tout le temps se renseigner sur les législations insupportables, se faire un réseau tout autour, réfléchir et se renseigner sur les principes de construction et surtout arriver à définir avec les membres du projet l’esprit global du futur lieu.
Les conversations sont vraiment passionnantes et malgré leurs dires sur la difficulté permanente de chacun de leurs projets, je perçois en eux un vrai bonheur d’être en train d’œuvrer pour un mode de vie qu’ils ont choisi.
La nuit arrive et on se retrouve simplement avec Adi ainsi que Marion et Nicolas, les deux autres volontaires français. Leur histoire est belle : Fraichement marié, ils sont partis de France depuis plus de sept mois avec comme projet de voyage de passer de volontariat en volontariat, cela à travers les pays de l’europe et dans des lieux aussi variés les uns des autres. Leur grand rêve étant de monter par la suite un village écologique en France, ils ont estimé que partir voyager de la sorte était une manière d’accumuler un recul et un enseignement nécessaire avant de se lancer pour cette grande aventure.
Vient ensuite le moment où je peux enfin entendre l’histoire de Adi et de cet endroit :
– Mes parents possédaient ce terrain depuis des années. J’ai commencé à m’y intéresser il y a quatre ans tout en réfléchissant à quel genre de lieu je pourrais arriver à mettre en place. J’ai beau être designer de métier, pour ce genre de constructions écologiques il faut une connaissance assez poussées pour chaque éléments. Vouloir construire écologique, en accord avec la nature autour de soi, cela oblige à devoir penser à absolument tout. Que ce soit pour l’emplacement de la maison, de sa construction, de son système de chauffage, électriques, sanitaire, pour la création d’un potager, d’une plantation d’arbres fruitiers, absolument tout doit être réfléchi d’un point de vue « permaculture ».
– Pendant trois hivers j’ai accumulé des connaissances en lisant des quantités de livres traitant sur ces sujets, youtube m’a aussi appris une bonne moitié de ce que je sais aussi ! Puis après quelques essais sur des projets de petites envergures, moi et ma femme avons décidé de nous installer ici. Chaque année une cinquantaine de volontaires tels que vous viennent pour nous aider.
Afin de partager tout ce qu’il a appris Adi nous explique qu’il projette de construire plusieurs autres infrastructures afin de transformer cet endroit en un véritable centre de permaculture où les gens pourront venir en vue d’enrichir leurs connaissances.
Je m’endors ce soir sur le foin de la grange, la tête encore plein de questions.
Nous commençons le lendemain par plusieurs explications sur le travail à faire. Le toit est une des priorités car cela fait bientôt trois étés qu’il est en construction. Les roseaux viennent d’un marécage que Adi avait repéré sur google map. Il les a tous coupé à la faux puis emmené en camion. Il a fallu cinq voyages au total afin d’obtenir la quantité nécessaire. Mais il ne suffit pas ensuite de simplement disposer ces roseaux sur le toit ! Il y a toute une technique à commencer par la confection de fagots. Il faut alors veiller à ce que rien ne soit humide, faire la bonne longueur et le bon diamètre, les attacher ensemble…
Adi passe presque toute la journée sur le toit ; à tour de rôle on se relais afin d’être à l’intérieur pour l’aider à attacher chacun des fagots à l’aide de fils de fer fixés sur la charpente.
Plusieurs autres volontaires arrivent les jours suivant : un nouveau zélandais, une écossaise, une suisse-allemande, une famille d’israéliens, un couple d’allemand. Si bien que nous nous retrouvons à treize dans ce lieu. L’organisation n’est pas le point fort d’Adi mais nous mettons en place un système d’emploi du temps auxquels chacun peut choisir le travail qu’il veut suivant les horaires de son choix.
La cuisine est toujours un grand moment d’inventivité : Comme la plupart des ingrédients sont végétariens cela nous force à devenir plus créatif tout en pensant simple. Par la force des connaissances culinaires de chacun nous arrivons de plus à créer de véritables festins, cela en faisant tout au feu de bois.
Adi nous explique plus précisément son potager au fur et à mesure. Le système de tranchés est vraiment ingénieux, cela permet en plus de ne pas avoir à se baisser pour ramasser les légumes. Par contre il ne faut pas avoir peur de rentrer pieds nues dans les cinquante centimètres d’eau stagnante ; c’est assez marrant de voir les centaines de grenouilles nager autour de soi.
Adi ne possède pas de plan défini pour l’emplacement de ces légumes ; il se contente de faire certaines associations mais à très petite échelle. Tous est donc un peu dispersé dans un curieux mélange de couleurs et formes.
-Bien sûr une fois les tranchées mise en place, il n’y plus besoin de faire grand-chose après. Retourner la terre sont pour ceux qui continu à reproduire les erreurs de leurs ancêtres depuis la nuit des temps. Je suis à chaque fois surpris de voir par moment les efforts que les gens mettent en place chaque année pour leur potager. Alors qu’il suffirait qu’il apprennent la bonne technique.
La forêt touche la délimitation de la propriété de Adi. Cette dernière continu sans s’arrêter pendant près de soixante kilomètres, cela jusqu’à la frontière de l’ukraine. Bien entendu les champignons afflues mais si ce n’était que cela ! Un ours attiré par les pruniers vient une nuit alors que nous dormions tous paisiblement. Etant donné de notre nombre, moi et plusieurs autres volontaires avions planté nos tentes à l’extérieur. Et chacun a pu très bien entendre le souffle rauque de l’animal ayant décidé de tourner autour de chacun de nos pauvres petits abris de nylon. Moi qui croyais avoir affaire en me réveillant au cheval du voisin !
Et ce n’est pas tout ! Le soir d’après ce fut un lynx, puis un long serpent en pleine journée. Ce fut une sacré bataille pour ce dernier lorsque moi et adi armé jusqu’au dent avons réussi à le tuer à grands coups de hache.
Mais heureusement certaines aventures n’ont pas besoin de l’être pour paraitre inoubliables : Un soir à observer les étoiles filantes, une randonnée avec des torches enflammés dans la forêt, de la musique autour d’un feu, des virées en ville et au lac, aider le voisin à regrouper son herbe séché, gouter la palinca…
Dans le village de Ulmoasa une règle officieuse est dans les mœurs de chaque habitant : Chacun a le droit de mettre sa musique aussi fort qu’il le veut, cela à n’importe quel moment de la journée et pour la durée de son choix. L’ambiance qu’il s’en résulte est vraiment hilarante : Certains voisins ont pour la plupart du temps le même CD depuis plusieurs années qu’ils passent en boucle à longueur de journée. On assiste même par moment à une fusion de plusieurs type de musiques toute aussi fortes et nulles ; cela par moment jusqu’à minuit. Mais on finit pas s’en habituer au bout de quelques jours et commençons même à parler de nos morceaux préférés entre nous.
Lors de certaines après-midi Adi organise des « seminare », c’est-à-dire de longues explications autour de sujets tels que l’éco-construction, la production de nourriture ou encore du « rocket mass heater ». Il nous présente tout d’abord ces nombreuses références de livres puis nous parle de son expérience, des erreurs à éviter, des techniques… Nous apprenons les principes de la masse thermique, la technique « super adobe » de la construction en sacs de terre, des choses à savoir sur la récupération d’eau… Tout cela est vraiment passionnant.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir été attiré par ce lieu si particulier. Presque tous les jours nous assistons à plusieurs visites de touristes, locaux ou encore amis de Adi.
Les semaines passent vite. Mon mode de vie de nomade m’a offert au fil de ces années une capacité à me sentir chez moi à chaque nouvel endroit. N’ayant jamais de marques et repères j’ai appris à m’en faire très vite, cela sans être focaliser sur la peur de découvrir à chaque fois quelque chose de nouveau.
Nous partons une journée à l’extérieur de la ville afin d’aller visiter chez une amie d’Adi le « Rocket mass heater » qu’il avait construit il y a de cela quelques années. Ce procédé de chauffage a été élaboré afin de produire le plus de chaleur tout en consumant le moins de bois possible. La construction d’un tel système semble assez compliqué mais pas du tout impossible. La fabrication ne nécessite pas un grand investissement financier. Un gros bidon en métal, des briques réfractaires, de longs tuyaux en métal, de la terre argileuse puis quelques outils. Nous observons l’allumage puis écoutons les différents conseils et mises en garde pour l’entretien et la mise en place de cette formidable invention.
Plusieurs des volontaires commencent à partir au fur et à mesure des jours, je dis au-revoir à Levi et Ela partant pour la Bulgarie, à Ehud et sa famille revenant en Israël, à Joseph et Rebecca repartant en vélo et train pour l’Allemagne puis à Marion et Nicolas décidés à rejoindre la France lentement. Cela me fait tout bizarre de les voir partir. Encore et toujours ces histoires d’adieux tristes et longs.
Et puis une surprise arrive de France le dix-sept août : Trimbalé dans un bus pendant plus de trente-quatre heures, revenant de deux ans et demi passé au Canada, et ayant plus de quinze ans d’amitié à mon compteur, c’est avec une immense joie que je retrouve Adrien, un ami cher avec qui je n’avais pas eu la chance de vivre beaucoup de souvenirs ces dernières années. En France depuis un mois il repart voyager cette fois en amérique du sud vers octobre. C’était l’occasion ou jamais de se voir et de rattraper le temps perdu en vécu commun.
Nous avons tellement de choses à nous dire, tellement de souvenirs à nous remémorer, tellement de projets à évoquer. Nous passons quelques jours à Baza Ulmu en compagnie d’Adi, de Sophie ainsi que deux nouveaux volontaires italiens.
Je profite de mes derniers jours pour fabriquer un gros fauteuil à l’aide de branches d’hêtre récupérées dans la forêt. Pendant des heures entières, je scie, perce et assemble. Décidément le plaisir ressenti juste pour cela me confirme que loin d’être un voyageur je suis et resterai par ma nature un constructeur.
Nous faisons nos adieux à Baza Ulmu un samedi soir. Ce volontariat n’a pas du tout été anodin pour moi. En une certaine sorte les choses apprises m’ont ouvert les yeux sur de nombreux points qui me manquait à mes rêveries de mon après-voyage. Cela arrive en effet petit à petit cette fin dont je n’avais encore jamais aperçu la ligne d’arrivée depuis le début de ce périple. Une année de marche restante est assez proche désormais pour que mes pensées osent s’aventurer à prévoir un futur.
Nous partons en auto-stop afin de rejoindre l’endroit où j’avais arrêté ma marche il y a trois semaines. Nous galérons pendant deux jours à avancer de deux-cent kilomètres. Les roumains ne s’arrêtent que très peu et quand il le font c’est pour généralement demander un prix de remboursement de l’essence assez exorbitant. Bref de vrais pirates.
Nous arrivons enfin au pied des montagnes Rodnei. Dégouté comme jamais du stop et de cette roumanie touristique nous nous faisons pas prier afin de nous éloigner au maximum de la moindre trace d’habitations ou de routes.
Nous sommes chargés de six jours de nourriture. Partis vers les dix-huit heures trente du village nous prenons le sentier censé nous emmener jusqu’aux hauteurs. Ces semaines d’arrêt m’ont affaibli au niveau de l’habitude de la marche et j’ai l’impression de porter une collection d’altères. La nuit arrive et nous sommes toujours sur les interminables lacets à marcher désormais dans l’obscurité. Nous persévérons jusqu’à 1800 mètres où nous arrivons totalement épuisé au lac iezer. Un refuge de montagne est éclairé mais nous en trouvons un autre à côté qui semble parfaitement vide.
-J’espère que personne va venir pour nous dire de payer…
Affamé on allume le poêle à bois de la bicote puis faisons cuire une grosse plâtrée de pâtes à l’ail que nous avalons avec appétit.
Au même moment la gardienne du refuge arrive alertée par nos lumières. Heureusement celle-ci est adorable et consente à nous laisser rester pour la nuit gratuitement. La journée a été longue aujourd’hui ; des heures interminables de stop, un aller-retour pour ma part de cinquante kilomètres à cause de l’oubli de mon bâton sur le bord de la route, des énervements à cause de ses satanés roumains annonçant un prix de course à la fin du trajet puis cette longue grimpette de mille cent mètres de dénivelés. Mais le bonheur dans notre petit dortoir est présent, de se retrouver ensemble dans les montagnes, de pouvoir discuter de sujets en commun, de pouvoir se taper de nouveau des fous rire comme au temps de notre adolescence.
Nous prenons le petit déjeuner au lac durant le matin. Il n’y a encore personne et on ne se prive pas de se baigner dans l’eau glacé avant de reprendre la marche sur un sentier grimpant jusqu’au sommet du massif : Le Pietrosu à 2303 mètres. Nous déjeunons de fromages français et de saucisson, une partie d’un colis que mon cher Papa a pu confier à Adrien pour qu’il me le remette.
Nous poursuivons sur les crêtes durant le reste de la journée. Que je suis heureux d’être de nouveau dans les montagnes, de retrouver cette belle sensation de liberté. Cela me fait aussi tellement bizarre de marcher de nouveau avec quelqu’un pour plusieurs jours.
– En fait on était juste en basse-roumanie ces derniers jours, me dit Adrien, c’est ici que se trouve la vraie Roumanie !
La pluie arrive tandis que nous arrivons vers un troupeau de moutons. Les chiens de bergers sont vraiment impressionnants et dès qu’ils nous ont repéré ils arrivent en aboyant d’une façon assez intimidante. Adrien ne comprend pas trop lorsque je commence à ramasser des pierres mais ne tarde pas à le faire lorsque ces débiles canins s’approchent de plus en plus en montrant leurs dents.
Nous plantons la tente près de la source d’eau repérée sur la carte. J’ai la chance d’avoir une tente largement assez grande pour deux et de ce fait nous nous retrouvons confortablement installés tout en pouvant se regarder un film sur mon ordinateur. Mon pauvre compagnon se gèle tout la nuit tandis que je le nargue à côté en ayant un peu trop chaud.
Le brouillard va et vient durant la journée tandis que le panorama autour de nous révèle sa beauté caché par intermittence. Nous ne croisons pratiquement personne. Le soir nous n’avons même pas besoin de nous concerter pour savoir où est-ce que nous nous arrêterons : Une étendue d’un flanc de montagne à l’abri du vent devant laquelle le paysage nous offre un aperçu de la journée du lendemain nous frappe par son énergie émanant de son ensemble. Un petit lac en forme de puzzle est la cerise sur ce beau gâteau. Nous nous sentons apaisés, seuls au monde. Nous trouvons quelques morceaux de bois nous permettant de faire un feu pour nos soupes de nouilles. Nous discutons des heures de nos vies de voyageurs, de nos projets et souvenirs de jeunesse. Le coucher de soleil de l’autre côté de la montagne termine cette belle journée.
Un déferlement de nuages laiteux coule le long des crêtes ce matin. La lumière donne à l’herbe une teinte orangé superbe. Nous progressons toute la matinée dans la brume et le vent glacial. A 2200 mètres cela se découvre alors que nous suivons les bords des arêtes. Les vallées des deux côtés s’affichent d’un coup. L’une d’elle s’étale sur des dizaines et des dizaines de kilomètres. Des chevaux sont en train de brouter paisiblement à huit-cent mètres en contrebas.
Nous atteignons un lac protégé par de gros contreforts de rochers. Nous nous sentons presque à l’étroit dans ce coin de paradis.
Adrien peste sur ces habits en coton refusant tout bonnement de sécher. Nous nous gavons de myrtilles avant de faire chauffer notre tambouille. Nos papilles rendus sensibles par la rareté du met savourent ce plat qui d’ordinaire ne nous aurais même pas décroché un sourire de satisfaction.
Nous redescendons lentement dès le lendemain afin de quitter les montagnes Rodnei. Les chemins deviennent plus larges et moins escarpés. Nous arrivons quelques heures plus tard devant quelques chalets. Un second massif est devant nous et nous permettra d’atteindre le village de Vatra Dornei en moins de trois jours mais je n’ai pas la carte détaillée de cette partie. Une gentille famille d’allemands que nous interrogeons nous emmène jusqu’à un refuge où plusieurs randonneurs roumains sont présent. On nous renseigne sur la suite, discutons une bonne heure autour d’un thé puis nos allemands viennent même à nous offrir un sac de victuailles contenant du pain, du bon fromage ainsi que deux poivrons. Je suis heureux que Adrien assiste à une petite rencontre de la sorte.
Nous décidons d’atteindre le sommet du massif. L’environnement est complétement différents des derniers jours : Tout n’est que crêtes et montagnes de pâturages d’un vert éclatant, de chemins et pistes magnifiques, des chevaux et moutons amenant à ces décors une touche de paix et de sauvage. Je dégotte deux énormes cèpes qui iront rejoindre nos pates du soir.
Nous atteignons le bas de la montagne au soir tombant. Le vent est glacial mais nous réussissons à trouver un coin à l’abri pour préparer notre délicieux repas de champignons-pates-oignons-ail.
Nous nous réveillons au milieu de la nuit pour observer un ciel étoilé comme je n’en est encore jamais vu… La pollution lumineuse des grandes villes est bien loin ce soir.
Nous évoluons toute la journée du lendemain dans de beaux espaces de forêts et longues étendues. Seul les bergers et leurs troupeaux semblent vivre dans ces lieux. Un cavalier vient récupérer deux vaches égarées sur un flanc de colline ; montant à même le dos du cheval, fier et jeune, il est impressionnant de le voir se mouvoir dans ces immenses plaines, de s’énerver lorsque les pauvres vaches s’en vont dans la direction opposée. Il hurle des bruits qui nous font bien rigoler. Il y a des « yiaaaaahh », du « siiiiaaaah » ou encore « niiiuuu ». Les vaches rassemblées il passe devant nous en nous ignorant superbement, s’arrête sur une petite hauteur, se gave de myrtilles puis repart vers sa ferme situé à un kilomètre.
Nous profitons des derniers rayons de soleil pour nous laver dans une source d’eau. Nous plantons la tente une heure plus tard aux abord d’une petite forêt. C’est notre dernière soirée dans la montagne… Nous arrivons au village demain puis Adrien reviendra en France.
J’ai le trac de ce retour à la solitude ; toute cette journée je l’ai ressenti en moi. C’est une sorte de nostalgie du présent qui m’amène à appréhender la fin de ce beau moment. J’ai beau savoir que passé un petit temps de réadaptation tout ira pour le mieux, je me surprend à être mort de trouille à cette idée de retrouver ce face à face avec moi-même. Partager un présent avec cet ami m’a tellement fait du bien ; en plus de l’avoir redécouvert à travers une partie de mon monde, lui avoir donné un aperçu de mon mode de vie, je réalise à quel point notre amitié est restée belle et profonde au fil de ce temps qui cours.
Nous vivons tous les deux depuis plusieurs années les contraintes des longs voyages, du sentiment d’être une étoile filante à travers la vie de nos proches, des ressentis de voir le temps passer à une vitesse d’une consistance différente. Cela nous fait du bien de s’être sentis compris pas l’autre.
Bien que la nuit s’annonce bien fraiche je m’ose à me faire une nuit à la belle-étoile. Le ciel est une vraie merveille. Des étoiles filantes vont et viennent, certaines durant près de deux secondes et possédant une splendide teinte ocre. Je n’ose fermer les yeux de peur d’en louper une seule. La nuit glaciale m’oblige quand même à rentrer au chaud dans la tente à cinq heures du matin.
Nous assistons au lever du soleil deux heures plus tard ; une petite mer de nuages le complète.
Il nous faut trois heures afin d’arriver sur la route de la vallée. Nous voilà de retour en « basse roumanie !
La chaleur y est étouffante, le bruit assourdissant. Nous observons les habitations dont la touche roumaine consiste à ne jamais finir quoi que ce soit ; il y a toujours un détail sur une maison qui montre un travail abandonné ou en construction permanente. Nous marchons dix kilomètres avant d’arriver à Vatra Dornei. Posés à un restaurant, on s’offre un bon repas afin de fêter notre dernière soirée, le tout arrosé de plusieurs bières. Adrien trouve sur internet un covoiturage jusqu’en suisse pour le lendemain. Et coup de bol la personne passera par Vatra Dornei au matin.
Je rassemble plus d’un kilogramme de matériel et cartes topographiques dont je n’en aurais plus besoin, et que Adrien me ramènera chez mon père. J’imagine déjà ma joie de ce que sera mon sac à dos autant allégé de la sorte. Peut-être vingt-deux kilos seulement !
Un peu bourrés nous plantons la tente près de la rivière traversant le village. La nuit est moins paisible que celles passées en nature mais nous savourons quand même cette dernière.
Nous attendons le covoiturage d’Adrien au point de rendez-vous. L’ambiance est à la triste joie pour ma part. Je déteste vraiment ce genre d’instant. La voiture arrive, son sac à dos est chargé dans le coffre, on se sert dans une accolade puis je m’enfuis le plus vite possible de ce moment.
Saleté de larmes, saleté de tristesse qui m’envahie, saleté de cœur qui s’emballe, saleté d’écho de sa voix qui résonne encore à côté.
Je quitte le village du plus rapide que mes pas peuvent me porter. J’ai la pensée que tout ira mieux dès le lendemain mais il n’empêche que ce n’est jamais facile ce genres d’aux-revoir. Je me reçois en même temps les adieux en retardement de toute les personnes de mon volontariat dont je n’avais pas forcément réalisé.
La suite s’étale sur trois-cent kilomètres de montagnes de forêts, faisant toujours partie de la chaine des carpates. J’ai une soudaine envie d’avancer, de descendre au sud, de réussir à atteindre la Bulgarie d’ici un mois. Je rejoins le massif des muntii Bistritei. Il n’y a presque aucun balisage et cela se passe majoritairement en forêt.
Je quitte les campagnes pour rejoindre des sentiers que ma carte n’indique qu’à moitié. L’orientation n’est pas facile du tout et pendant près de trois heures je m’acharne à monter comme un bourrin des pentes aigus de forêts, à traverser des zones déboisées, à essayer de deviner la bonne montagne. Un gros bruit me fait me glacer tout d’un coup. J’ai l’impression qu’une voiture est en train de dévaler le pans de forêt en face de moi ; pas de doute c’est surement un ours. Je m’éloigne vite de l’endroit puis souffle un peu deux kilomètres plus loin. Les ours en roumanie ne sont pas une simple légende. Ils sont près de cinq milles à vivre dans les carpates. Des accidents de rencontres surviennent assez régulièrement et il n’existe pas beaucoup de roumains n’en ayant encore jamais aperçus un.
J’arrive sur un chemin de crête puis le suis jusque devant un magnifique monastère construit à 1500 mètres. Je campe un kilomètre plus loin. Cela me fait tout drôle de me retrouver seul ce soir. Je me surprend quand même à apprécier ces retrouvailles avec moi-même, à de nouveau entendre mes pensées en résonnance avec le silence de la nature. Un coucher de soleil me redonne une belle joie et je reste encore longtemps à observer l’obscurité prendre place sur les montagnes environnantes.
Je ne tarde pas à partir au matin, il faut que j’avance pour aller mieux. Marcher est une façon concrète d’aller de l’avant soignant pratiquement tous mes problèmes pouvant apparaître.
J’ai à peine avancer de sept kilomètres qu’un groupe de personnes regroupées dans une bergerie me font signe de venir se joindre à eux. Ils sont une dizaine de tous âges dont bien-sûr aucun de parlant anglais. Ces joyeux compères ont tué le mouton la veille et sont en plein banquet. On me fait m’assoir puis une avalanche de nourriture et une cascade de vin et de palinca (eau de vie à 55 degrés) arrivent à moi. La mamaliga, de la polenta cuisiné en une sorte de gros bloc solide se retrouve de partout. Un gros roumain s’empresse de m’amener des oignons qu’il ouvre en les écrasant tout simplement sur la table. Un énorme fromage frais délicieux se mange avec de petites pincées de sel, une soupe onctueuse accompagne les grillades de moutons. Les chiens et les cochons à côté ne manquent pas le moindre os.
Un vieux tout ridé m’offre la corne du mouton afin que je l’emporte avec moi ; on ne refuse pas un cadeau de trois-cent lourds grammes…
Je pars un peu saoul deux heures plus tard, l’estomac remplit jusqu’au lendemain. Je rejoins le village de Darmoxa huit kilomètres plus loin, continu sur la piste circulant dans une vallée puis m’arrête pour la journée au côté d’une rivière dans laquelle je prends un bon bain.
Je suis encore tout triste ce soir, la solitude ne m’apparait plus comme un bon chemin tout d’un coup.
-Il n’y a pas de mauvais chemins ! Que des mauvaises interprétations !
Moi qui croyais en avoir pour juste deux heures afin d’atteindre la crête du haut, la matinée à finalement duré près de quatre heures, à remonter des rivières, à rebrousser chemin, à me battre contre les broussailles du terrain. J’arrive en haut tout tremblant mais heureux comme un pape. Tout est dégagé et désert. Les nuages du fond sont grisonnants ; la pluie ne va pas tarder.
Un berger, son troupeau et son énorme chien viennent à moi. Ils ont décidément le chic de se trouver dans les endroits les plus reculés. Depuis quelques temps je remarque que presque un chien sur deux possède un bâton d’une trentaine de centimètres accroché et pendant à leurs colliers. Le berger m’explique que c’est pour les empêcher de courir. Mon nouvel ami ne semble pas vouloir converser, il se contente de rester à mes côtés durant cinq minutes sans dire un mot de plus puis s’en va comme il est venu. Ces bergers ont-ils compris le secret du moment présent ? Si oui je ne leur en veux absolument pas de le garder pour eux.
Après une pause méritée je repars tout en suivant une crête magnifique. Je ne croiserais plus personne jusqu’au lendemain après-midi. Je retourne dans la forêt en hors-piste afin de rejoindre un sentier censé me conduire dans la bonne direction. La pluie arrive tandis que la forêt se transforme en une grosse éponge humide. Je marche depuis trois heures sur le chemin. Mes chaussures prennent l’eau désormais en moins de dix minutes ; leur fin approche lentement. Je ne trouve plus mon chemin, le brouillard m’empêche de m’orienter correctement et j’ai la désagréable sensation d’être en train de contourner la mauvaise montagne. Je reviens sur mes pas tout en maugréant, trouve un deuxième sentier un peu plus large puis le suis jusqu’à tomber sur un terrain dégagé où une bergerie déserte est construite. J’arrive à me repérer sur la carte mais la nuit arrivant je décide de dormir ici. L’intérieur de ces quatre murs et un toit est répugnant, la crasse constitue surement la partie isolation la plus efficace. Le vent hurle contre les lattes de bois et s’infiltre un peu partout dans la pièce, des bouteilles de bières en plastique sont tout autour de moi mais je ne vais pas faire de chichi après cette journée épuisante. L’obscurité amène une touche de film d’horreur à ce lieu. Dormant sur le plancher je m’endors d’un sommeil lourd que seul quelques souris iront perturber durant la nuit.
Le soleil est de retour au matin ! Je retrouve mon chemin, marche sur une piste sur dix kilomètres puis arrive devant des habitations précédant le village de Grinties. Je suis très heureux de marcher autour des gens, de voir de la vie, du bruit.
Alors que j’achète quelques biscuits et une tablette de chocolat la gérante me fait monter à son étage puis m’apporte une grosse soupe aux légumes et poulet, des cornichons aigre-douce et du pain. Elle semble tout heureuse de nourrir un français.
Le parc national de Ceahlau est ma prochaine étape. Je n’ai pas la moindre carte de l’endroit mais cela à l’air assez touristique et je ne pense pas avoir de problème à trouver.
Je rejoins une heure plus tard la route principale. J’ai mis un certain point d’honneur pour cette année à éviter au maximum l’asphalte ; mais il y a certaines portions qui sont par moment impossibles à éviter… Je marche quinze kilomètres sans m’arrêter. Les villages que je traverse s’étirent sur des longues distances. Je trouve heureusement un joli coin tranquille près d’un cours d’eau.
Ayant mal planté ma tente, les premiers rayons de soleil ne l’atteignent pas assez vite afin de la sécher de la rosée de la nuit. Je déteste devoir plier et porter ma tente mouillée de la sorte.
J’atteins trois kilomètres plus loin la station touristique de Ducan. Je me pose une heure à un café afin d’essayer de réparer mon ordinateur. Depuis plusieurs semaines sa batterie semble se vider juste après l’avoir éteint. Je trouve le problème : Le bouton du réglage du volume, avec les conditions de transports et d’utilisation de ces dernières année, c’est en partie oxydé et a en quelque sorte gonflé, ce qui semble bloquer la mise en route de l’appareil. Pas rassuré je sors la plus petite lame de mon couteau suisse puis commence à entailler la coque à l’endroit précis. Je m’attendais vraiment à tout, mais absolument pas à ce que cela remarche au bout de cinq minutes ! Le dieu de l’informatique est bien clément avec moi pour une fois…
Le parc national à l’aire d’être une bonne blague touristique comme je m’y attendais : L’entrée est bien entendu payante, la montée est dure et longue, le plateau du haut à 1800 mètres se parcourt en moins d’une heure trente, il est formellement interdit de sortir des sentiers battus, un gros refuge servant des hamburgers-frites se trouve en plein milieu du paysage, les gens leur achètent des bouteilles d’eau en plastique fabriquées à trois-cent kilomètres d’ici alors qu’une source d’eau est à moins de cinq-cents mètres et cerise sur ce gâteau il faut payer une taxe en plus si l’on veut planter sa tente sur un coin délimité. Même le paysage n’a rien d’incroyable. Ayant quand même envie de dormir en hauteur cette nuit je m’acquitte de cette odieuse taxe de dix lei (deux euros cinquante). Un jeune étudiant en photographie plante sa tente à côté ; il me vante pendant dix minutes la beauté et la magnifique préservation de ce parc. Je préfère d’un coup passer le reste de la journée à coudre sur mon sac à dos des renforts en sangles puis à raccommoder mes chaussettes. Je peux enfin me regarder ce soir ce fabuleux film qui est « Interstellar » dont je n’arrive pas à me lasser de le regarder.
Je pars de bon matin puis descend durant trois heures afin de quitter sans regrets ces montagnes. Une cascade un peu cachée m’attend en bas et je prends mon temps pour un gros décrassage et une lessive complète. Je repars avec tous mes habits mouillés sur moi qui sèchent en moins d’une heure.
Je suis la route pour arriver quinze kilomètres plus loin à Bicaz, un village surpeuplé qui a vite fait de me rendre fou. Je continu une heure de plus sur la route dont les poids lourds ne font que de me frôler. Je prends enfin une bifurcation pour un plus petit village. Certaines habitations tiennent vraiment de la cabane de jardin. Un gars m’interpelle alors qu’il me dépasse ; il m’invite à boire un ice tea à la terrasse d’une des petites épiceries du coin. Mario travaille à la scierie du coin, à trente ans et deux enfants. C’est à peu près tout ce que j’ai pu comprendre.
Je poursuis encore un peu puis dors dans la forêt entre deux villages. Ces journées de trente kilomètres depuis quelques jours sont assez épuisantes.
Je poursuis durant deux jours à travers une piste dans une vallée. Ayant attrapé une diarrhée sans doute à cause d’une eau un peu douteuse je suis tout faible et fournis des efforts vraiment intenses afin de finir mes journées. Je rejoins un village après quelques errances dans une forêt et une marche le long d’une rivière boueuse. Un couple gérant une épicerie me sert un casse-croute d’enfer que je me force à manger tellement je suis ballonné. Je chante tout mon répertoire de chansons le long de la piste traversant les petits hameaux afin d’améliorer mon humeur. Ça marche à merveille tandis que les habitants me regardent d’un œil curieux et interrogatif.
J’arrive à Faget, me ravitaille en nourriture puis prend un chemin de terre pour les prochaines montagnes. Une charrette tirée par deux chevaux passe devant moi, cahotant et grinçant de toute sa structure, deux chiens sont attachés derrière avec moins de vingt centimètres de corde, condamnés à suivre au pas de course. Décidément la roumanie est loin d’être un paradis pour les animaux domestiques.
J’arrive exténué au milieu d’un hameau où j’ai à peine la force de me hisser sur une colline puis planter ma toile de tente. J’ai l’impression d’être complétement shooté.
Je pars me vider dans la rivière en plein milieu de la nuit. Je me réveille en bien meilleure forme. Je grimpe cinq-cents mètres sur un flanc de montagne à travers une forêt des plus abruptes et pleins de broussailles. J’atteins le sommet une heure-trente plus tard. J’hurle ma joie tout d’un coup : Les crêtes sont magnifiques, le vent me souffle à la gueule et un panorama superbe est tout autour de moi. Mon énergie revient d’un coup sans prévenir tandis que je savoure précieusement cet instant.
Je continu toute la journée à travers un dédale d’espaces libres et de forêts. Je ne quitte pas des yeux ma carte et boussole car l’environnement reste un vrai labyrinthe. Mais j’ai confiance en mes capacités de navigateur ; le bonheur de pouvoir se mouvoir où l’on veut avec juste un bout de papier et une aiguille aimanté est fantastique.
Je croise de nombreuses petites cahutes de bergers vivant dans ces endroits assez reculé. Leurs satanés chiens ne font que m’attaquer à chaque fois que je m’approche un peu du troupeau. Je n’hésite plus du tout à leur donner de grands coups de bâton, même devant le regard totalement passif de leurs maîtres semblant n’en avoir cure. Il y a pour moi deux sortes de bergers en roumanie : L’ivrogne croisé de l’ermite et insociable, celui-ci ne vous portera jamais secours, se contentera de vous regarder dans une totale ignorance, la même qu’il tient de lui-même. Il y a ensuite le gros bourru sympathique, amoureux de sa solitude et des montagnes, qui ne cherchera pas forcément à vous parler mais qui se fera un plaisir de vous aider pour trouver un chemin ou une source d’eau. Je rencontre trois spécimens de cette deuxième catégorie en fin de journée. Ils vivent dans une cabane rudimentaire au milieu de nulle part, leurs bêtes sont parquées sous les yeux vigilants de leurs monstres de chiens. Les trois hommes sont en train de manger un énorme cube de polenta accompagné d’oignons et de fromage. Ils me remplissent mes bouteilles d’une eau de leur source en contrebas, me montrent cinq petits chiots venant de naître puis m’offrent un énorme kilogramme de leur fromage. Ils ne me demande rien de plus que d’accepter en souriant.
J’aimerais les prendre en photos comme j’aurais aimé aussi le faire pour plein d’autres de petites rencontres de la sorte. Mais il y ce genre de moment dont le simple fait de vouloir l’emprisonner sous forme d’une image pourrait suffire à le gâcher de tout sa magie de son instant.
Je campe à 1500 mètres sur une hauteur d’une large colline. Devant le soleil couchant je mange des tartines au fromage de mes trois bergers, cela agrémenté à la mode roumaine de petites pincées de sel ; le gout est d’un spécial vraiment délicieux. Je répare mon fidèle chapeau en cuir durant toute la soirée, ce cadeau de ma sœur Céline, m’accompagnant depuis plus de douze milles kilomètres s’est ouvert dernièrement à la jonction du haut de mon crane sur près de dix centimètres. La sueur accumulée a réussi à faire pourrir le cuir. Heureusement j’ai le fil nécessaire pour recoudre cela.
Une ferme isolée est en contrebas. J’entends les cris des enfants hurlant aux chevaux de se la ramener. Je me prends des fous rires à les entendre gueuler de la sorte de leurs voix enfantines.
Après deux heures de marche durant le matin je redescend en direction de la vallée. Des dizaines de corbeaux sont en train de chercher les courants ascendants tout en se chamaillant dans des spectacles de vrilles et d’esquives qu’aucun ballet aérien au monde ne pourrait faire juste semblant d’égaler. J’aimerai être un corbeau.
J’arrive devant un troupeau de moutons puis commence à entendre la litanie habituelle des aboiements furieux venant à moi. Cette fois ils sont sept, hargneux et pas du tout farouches des pierres que je leur balance. Ils m’encerclent, s’approchent de plus en plus, tentent des percées, j’avance en tournant sur moi-même tout en les tenant en joue avec mon bâton. Ne surtout pas commencer à courir ou paniquer c’est la règle première pour ce genres d’attaques. J’arrive à attraper une longue buche que je balance sur le plus imposant de la bande. Ça a l’air de les calmer un peu, occasion que je profite afin de m’éloigner au plus vite. J’aperçois le berger assis tranquillement dans l’herbe à moins de cent mètres. Cet imbécile n’a absolument rien fait pour calmer sa horde de chiens ! Cela doit être pour lui l’attraction de journée, il ne lui manque plus qu’un gros sachet de popcorn ainsi qu’un gobelet de soda.
Je reste tremblant durant deux kilomètres avant de me poser devant une belle rivière ensoleillé pour un gros lavage. C’était quand même bon cette adrénaline. Je rejoins une piste une heure plus tard et la suis durant quinze kilomètres avant d’arriver au village de Bancu. La chaleur est vraiment forte et je m’offre trois glaces à une épicerie qui me procurent un véritable orgasme culinaire.
La ville de Brasov est à cent-vingt kilomètres d’ici. J’ai l’intention de me poser là-bas durant une semaine afin d’attendre une surprise arrivant de France le dix-sept septembre. Malheureusement le chemin le plus direct pour relier la ville est une grosse route que je vais devoir suivre. Ce n’est donc pas de grosse gaité de cœur que j’appréhende ces prochains jours.
Je demande à une sorte de mairie si je peux utiliser leur connexion internet afin de prévoir un couchsurfing pour Brasov. Ils sont bien gentil et alors que je repars dans la rue, une employée me rattrape tout en me tendant un téléphone. C’est en français que l’on me parle :
-Salut ! Euh… On m’a dit qu’un français était dans le village. Si cela te dis de venir manger et dormir chez moi ça serait avec plaisir de te rencontrer. Je pourrais être ici dans moins d’une heure…
Robert, un hongrois de trente-cinq ans parlant un très bon français arrive et me fait entrer chez lui. Il me sort une bouteille de chartreuse qu’il garde sans doute précieusement. Le liquide a tôt fait de me rendre bien posé après cette journée de vingt-neuf kilomètres. La femme de Robert ainsi que ces deux petits enfants arrivent et on se retrouve bientôt tous autour de la table, le vin et la nourriture ne manquant pas du tout. Robert me parle de cette région qui est la Transylvanie où il existe des villages entiers, comme celui-ci, où les habitants sont à 95% hongrois. Je remarque que leur langue est très proche du finlandais ou de l’estonien. Nous parlons aussi des roms, dont certains ignorants français continu à croire que ces derniers sont les habitants de la roumanie. Cette population de roms je les rencontres depuis plusieurs semaines dans certains villages. Ils sont très reconnaissables des roumains dans leurs attitudes et codes vestimentaires. Ils m’abordent souvent, cela souvent pour me demander de l’argent.
-Ils vivent souvent dans des maisons abandonnées qu’ils occupent sans que la police puisse faire quelque chose… commence Robert, le problème c’est qu’ils ne font aucun vrais efforts afin de s’intégrer dans nos villages, ne cherchant pas du tout à vouloir travailler ou parler la langue du pays. C’est assez délicat..
L’alcool aidant nous parlons une bonne partie de la soirée de nos vies respectives. Robert se trouve très intéressé par mon projet de marche et ne s’arrête pas de me répéter qu’il aurait rêvé de pouvoir prendre ce genre de temps dans sa jeunesse.
Je dors ce soir sur un lit moelleux. Cela faisait bien deux mois que mon dos n’en avait pas vu un. Je m’enchaine à partir du lendemain trois grosses journées sur de longues distances de bitume. Marchant entre trente-cinq et quarante kilomètres par jour je passe là des moments vraiment pas agréables. Les montagnes ont laissé place à d’immenses champs cultivés. La france est aux vendanges de ce que la roumanie est au ramassage de pommes de terre. De partout se regroupe des camions entiers transportant des personnes balayant les longs champs en ramassant les milliers de patates que d’autres groupes ont préalablement sortis de terres et empilés en de petits tas.
Enfin après cent-dix kilomètres marchés j’arrive aux abords de la ville de Brasov. Des hautes montagnes entourent la partie ouest de la ville. Je m’embarque là-dedans dès la semaine prochaine. D’ici là laissons place à quelques belles rencontres.
Jérôme
salut le marcheur
toujours un plaisir de lire tes reports !
tu te forge un sacré bagage de souvenirs, et de philosophie de vie c ‘est top
de mon coté je me charge de deniers en Savoie pour partir un moment……. un jour
continue bien l’ ami
au plaisir des nouvelles !!!
Eric