Quittant Torun sous un temps grisâtre, je suivis des pistes cyclables très agréables jusqu’à enfin quitter les bruits de voitures pour vingt-cinq kilomètres de forêt sans âme qui vive.
Je revivais d’être enfin seul en nature…
Je marchais jusqu’au soir avant de planter ma tente à côté du chemin, après avoir pris deux litres dans une flaque d’eau.
Il neigeait un peu mais pas assez pour renoncer à un grand feu de joie.
L’évolution dans un mode de vie n’a jamais de fin, l’esprit est constamment en train de chercher de nouvelles améliorations, de nouveaux sentiers à explorer, de nouveaux genres de bonheur…
Ce soir-là j’eu l’idée de simplement attacher une branche à la hanse de ma popote avec un bout de fil de fer. Résultat, j’étais désormais en mesure de faire chauffer n’importe quoi sur un gros feu sans avoir peur que la gamelle se renverse car je pouvais la tenir. Cela peut paraître une anecdote bénigne mais cela a suffi pour m’embellir cette soirée de cette trouvaille très simple mais dont il m’aurait fallu plus de dix mille kilomètres pour la trouver.
J’avais pu faire sécher ma tente ces derniers jours en ville, cela me faisais tout bizarre de la voir comme cela, à force de dormir dans celle-ci toute humide je m’en étais totalement accommodé.
Marchant encore dix kilomètres le lendemain sur des chemins se divisant tous les kilomètres, je parvins à Rojewo en fin d’après-midi après un beau moment dans de petites routes. La pleine lune me permit de continuer un peu plus tard et je finis par camper, faute de trouver une forêt, dans un grand champ. La pluie avait abdiqué, et de petits froids étaient revenus, mais cela ne dépassait pas les moins cinq degrés, restant donc très confortable.
Je passais les deux jours suivant sans qui ne se passe grand-chose de particulier : Le beau temps était là, je marchais tranquillement dépassant rarement les vingt-cinq kilomètres journaliers puis je passais mes pauses dans de joyeux villages ; J’aimais bien les ambiances de ceux-ci lorsque je les traversais : Les petites mémés se déplaçaient sur de vieux vélos rouillés en m’adressant de beaux sourires, les poivrots du village me regardaient de leurs airs curieux, les hordes d’enfants sortant de l’école me montraient du doigt sans retenus mais sans jugements, les rideaux de fenêtres devenaient animés de véritables balancements, laissant entrevoir des visages suspicieux ou interloqués.
Depuis mon départ de Lyon je pense être le responsables de centaines de mal de cou, d’un nombre incalculable de photos volées ou demandées, et occupant de nombreuses conversations dans les voitures me croisant. Une impression d’être une bête échappé d’un zoo en ressort parfois, impossible d’entrer dans un centre commercial ou une rue bondé sans sentir des dizaines de regards braqués sur soi.
Arrivant en fin de journée à Janowiec, je me rendis à la bibliothèque pour une petite douche express et une demande couchsurfing pour la semaine d’après ; Je repartis une heure plus tard, après avoir reçus de la part des bibliothécaires un kilo de miel, du pain et deux grosses oranges.
Cherchant dans la nuit un endroit où dormir, je finis par m’enfoncer quelques minutes dans une forêt de petits sapins. J’avais mangé froid les deux derniers jours et le bonheur de faire sa tambouille devant de belles flammes mouvantes fut immense. Mais alors que je finissais ma soupe, des phares d’une voiture, roulant sur le sentier cabossé que j’avais suivis, arrivèrent dans ma direction. M’ayant aperçut à cause de ma lampe torche, la voiture stoppa à vingt mètres et par un coup de klaxon, me fit signe de venir.
Un peu dégouté d’avoir été dérangé de la sorte dans ma soirée de célibataire des bois j’allais voir et un visage des plus confiants m’apparut. Romual, la soixantaine, comprenant un peu mais ne parlant pas l’anglais, était le propriétaire de la forêt et avait cru que j’étais un voleur.
Il me donna son consentement pour rester cette nuit-là et repartit. Mais trente minutes plus tard les phares réapparurent et Romuald vint à moi, alors que j’étais en train de chanter quelques chansons afin de saluer la neige tombante.
Il était chargé d’un sac remplit de jus de fruit, chocolat, bière ainsi que d’un café chaud.
On resta ensemble près du feu pendant quelques temps ; Il était ce genre d’homme charismatique, très calme, au yeux perçants et ne semblant jamais faire les choses à moitié. Il était responsable de trois centres médicaux, dont un qui se construisait à moins de cinq cent mètres de ma tente, en plein milieu de cette forêt.
Voyant les flocons devenant de plus en plus gros il me proposa de venir dormir chez lui. Malgré la pensée de « Oh non j’étais bien calé en plus j’ai grave envie de lire », j’accepta.
Pliant mon campement en moins de dix minutes, je fourrais le tout dans le coffre et embarqua avec ce drôle de bonhomme.
Trente minutes de conduite tout terrain à travers la forêt enneigée et nous arrivons à sa maison, ou plutôt devrais-je dire son immense manoir. Il me fit entrer et m’installa dans une belle petite pièce à l’étage.
Un peu impressionné par tant de luxure il m’expliqua qu’il vivait seul dans cette grande propriété après y avoir passé toute son enfance.
Il appela ensuite quelques membres de sa famille habitant dans les environs et quelques minutes plus tard arrivèrent Bogumila, sa belle-sœur étant de plus son associé, Michal le fils de cette dernière et Paulina, une cousine d’une grande beauté parlant de surcroît le français.
On me prépara une grosse soupe et autour d’une bonne bouteille de vin on discuta longtemps sur de beaux sujets. Ces derniers arrivants habitant à Gniezno, situé à une trentaine de kilomètres, me proposèrent de m’héberger pour le lendemain. Je n’avais pas forcément prévu de passer là-bas mais qu’est ce dix kilomètres de détour lorsque le prix en est de nouvelles surprises et rencontres ?
Romuald me reconduit le lendemain à l’endroit où il m’avait trouvé. La neige fraiche et le beau temps conjugués me promettaient une belle journée.
Trente-deux kilomètres de bonne marche me menèrent donc à Gniezno, une toute petite ville qui fut l’ancienne capitale du pays il y a des siècles de cela.
Je rejoignais Paulina qui m’attendait sur la place, puis nous partons dans son restaurant dans lequel elle travaillait les week end. Un thé, une soupe et une sympathique visite de la ville plus tard et on se rendis chez Bogumila. Et du monde il y en avait là-bas, entre les sœurs et frères et les cousins, je mis du temps à me représenter leur arbre généalogique ainsi que le prénom de chacun.
Retenir les prénoms lors de rencontres est une chose à ne jamais délaisser. C’est un signe de respect, d’une mise au même niveau, d’intéressement.
Ma mémoire est loin d’être excellente et nombre de fois il m’est arrivé à ne plus me souvenir du prénom d’une personne. C’est une situation dérangeante, on se sent mal à l’aise et légèrement honteux. A force de ces expériences j’ai développé quelques petites techniques dont une consistant à tout simplement l’écrire sur un papier en y mettant une brève description de la personne. Très efficace surtout lors de grand nombre j’ai par moment des : Vera : Blonde, Parle beaucoup ; Igor : Colosse tout gentil ; Nikita : Punk super belle ; Sasha : Chinois timide ou encore Tarvo : Amoureux mélancolique.
En compagnie de toute cette tribu dont les âges tournaient autour de la vingtaine, nous commençons la soirée par un counter strike en réseau qui me fit revivre de joyeux souvenirs de mes années collège.
Mais une soirée sans vodka en Pologne est presque considéré comme raté et ce soir n’en vit pas l’exception. Les kilomètres de la journée me firent compter triple chaque shooter avalé et il ne me fut pas longtemps pour être rond pilon. La soirée finit tard, surtout après que chacun m’eut appris ces plus jolis gros mots en polonais.
Réveil douloureux et je partis après un copieux petit déjeuner prit avec tout le monde.
Abattre du kilomètres est un remède très efficace contre la gueule de bois.
N’ayant pas trouvé des petits chemins, je dus suivre pendant deux longues heures une grosse autoroute, traversant des bretelles, ponts, escaladant des grillages de trois mètres et finalement sortir de cet enfer par un sentier suivi aveuglement jusqu’à un paisible village. Je marchais le reste de la journée sur une piste cyclable qui m’emmena dans de jolis coins, notamment près de nombreux anciens moulins.
Un champ brumeux où lièvres et biches s’y trouvaient me fit passer une nuit reposante mais plutôt froide.
Je poursuivis sur la même piste le lendemain et trouvais enfin le soir une belle forêt comme je les aimais.
L’hiver semblait cracher en toussotant ces dernières froides températures ; Le thermomètre accusait les moins neuf degrés sous zéro et le ciel étoilé brillait de mille étoiles dans le crépitement de mon feu, je me sentais soudain d’une humeur fantastique, d’une joie sans pareille que je n’avais pas ressenti depuis la Lituanie, lorsque je dormais sous les moins quinze.
De nouveau cette vulnérabilité dans l’environnement était présente. Cette conscience d’être faible mais accepté dans quelque chose de trop puissant pour l’être compris ; Cela procure cette joie peut ordinaire, rare et souvent mal perçus. J’aimais être l’hôte de la nature, j’aimais cette faiblesse ressentis et paradoxalement ce sentiment d’être soudain au même niveau, de faire partie d’un ensemble où l’infiniment petit est relié avec l’infiniment grand.
Mais qui suis-je pour parler de la sorte, alors que un village se trouvait à moins de cinq cent mètres ? Alors que je marchais sur des chemins et route tracés ? Alors que je rencontrais des magasins chaque journée ? Alors que le confort me crevait les pneus de la sensation…
Je voulais plus tout d’un coup, je voulais du risque, de l’incertitude, du danger, des épreuves ; Ma carte me dévoilait trop de chemins… La facilité devenait trop évidente.
Un changement de mode de vie s’imposait pour bientôt heureusement ; Les Carpates, cette chaîne de montagnes voisine des Alpes devenait de plus en plus proche jour après jour. J’en rêvais, je la désirait, moi qui n’avais pas vue l’ombre d’une colline depuis cinq mille cinq cent kilomètres.
Quelques tartines de miel-jambon-fromage grillées au petit déjeuner, suivi d’un thé chaud. Une neige fraiche tombait et soudain un petit renard d’une beauté simple surgit d’un buisson, il ne me voyait pas, passa à moins de dix mètres de mon campement, resta immobile une minute puis disparut en me laissant le sourire aux lèvres et des battements au cœur.
Une marche de vingt-deux kilomètres me fit entrer dans la ville de Poznań où je comptais y rester une semaine. A peine arrivé au centre-ville, je reçus un texto de ma couchsurfeuse afin de me dire que suite à un empêchement, elle ne pourrait pas m’héberger. Ce fut un peu fâcheux mais je me rendis à une auberge de jeunesse en attendant.
Une nuit difficile à côté d’un ronfleur téméraire ayant été capable de franchir la barrière acoustique de mes boules quies me décida à bouger de place. Ayant rencontré deux sympathiques polonaises durant le matin, je passais le reste de la journée avec elles, à se promener dans la ville et à rester tranquillement dans des bars et cafés typiques de la ville.
Je les quittais le soir, ces dernières repartant pour la capitale en bus, et je trouvais une autre auberge plus tranquille pour la nuit.
Passant la journée du lendemain à écrire dans un café, je rejoignis le soir Karolina et Bartek, un couple de couchsurfeur vivant à quelques kilomètres du centre.
J’étais leur premier hôte et je fus reçu d’une manière admirable. La soirée fut des plus agréables, ils me parlaient de leurs projets de mariage, me racontaient des anecdotes surprenantes et je leur montrais quelques photos et vidéos de scandinavie.
Je restais chez eux la journée du lendemain, à écrire et à cuisiner un bon repas pour le soir.
De retour de leurs travails, on partis ensuite se balader dans la ville, boire un Kvas dans un bar authentique puis à finir avec quelques vodkas traditionnelles une fois rentré.
Je décida de les quitter le lendemain, bien qu’ils étaient adorables envers moi, j’avais comme un besoin de folie, de me faire une indigestion de rencontres, quitte, et ce le fut, à ce que cela me soit mauvais. Je retournais au centre-ville puis me posa dans un bar-café pour écrire, n’ayant strictement aucun plan pour dormir le soir.
La jolie serveuse, intrigué par mon équipement, vint me parler. On discuta quelques minutes, elle m’offrit un café latté puis une part de gâteau.
– Mais tu as prévu quelque chose pour ce soir ? me demanda-t-elle.
– Eu… Pas vraiment, on verra bien…
– Et bien tu n’as qu’à venir dormir chez nous ce soir ! enchaina-elle d’un naturel déconcertant.
Magda, son copain Patrick, sa sœur Ania et le copain de celle-ci Pablos, tous les quatre avait acheté cette ancienne épicerie qu’ils avaient au cours de l’année transformé en un formidable café-restaurant. Ils avaient ouvert il y a seulement un mois de cela et bien qu’ils devaient travailler presque tous les jours ils paraissaient enchanté de ce rêve de gosse étant devenu réalité.
– On a tous chacun travaillé de nombreuses années en restauration, dans des restaurant luxueux aux plus minables; Et on a finalement décidé de se lancer ! Pour le moment ça à l’air de très bien marcher entre nous, on s’est chacun répartis des rôles et de nouvelles clientèles arrivent tous les jours. Ça fait du bien de pouvoir enfin s’investir dans quelques chose que l’on aime et dont on peut voir son évolution.
Ils avaient opté pour la simplicité et troqué le neuf pour de la récupération.
– On a tous fait nous-même, les tables, le comptoir, l’électricité… Même les chaises ont été trouvé dans la rue !
L’ensemble, renforcé par des rivets d’amitié et des soudures de passion, donnait à l’ensemble de cette petite pièce de quelques couverts un formidable esprit de famille dans lequel on se sentait tout de suite bien.
Les menus étaient pas nombreux mais suffisants et d’une touche artistique peu commune.
A la fermeture ils m’emmenèrent dans leur appartement jumelé où deux magnifiques chiens les attendaient.
On improvisa un repas de fonds de frigo puis discutons jusqu’à point d’heure.
Leur personnalités étaient toutes différentes mais se complétaient en fin de compte :
L’une était le sourire du groupe, beauté fatale et meneuse d’une générosité sans fin, l’un était l’artiste dans son monde, rêveur bricolo et herboriste de plantes à propriétés douteuses à ces heures perdus, une autre occupait la place de cœur dans cette orchestre de joie, oeuvrant dans les cuisines et produisant des chefs d’œuvres culinaires à partir d’ingrédients des plus simples, et le dernier, le sage consciencieux, le penseur visionnaire, apparaissait comme la clef de voute de cette arche de joyeux compagnons.
Je fêtais mon quart de siècle le lendemain… C’était la première fois que je vivais un anniversaire sans un proche à mes côtés.
Je le célébrais dans le restaurant de mes nouveaux amis, un bon repas offert noyé dans de belles discussions.
Ce douze février c’était aussi un des jours les plus rentables de la Pologne : Aux français le jour de muguet, la Pologne possède elle le Tlusty Czwartek ou encore le jour des donnuts ! Ce jour-ci c’est presque cent millions de donnuts qui sont vendus dans n’importe qu’elle type de magasins.
Je revus en début d’après-midi Paulina, dont j’avais gardé le contact depuis Gniezno. Je passais l’après-midi en sa compagnie puis rejoignis le soir de nouveaux couchsurfeurs.
C’était une collocation de six jeunes, étudiants en art et photographie mais qui semblaient tous être un peu occupés.
Je passais la soirée tranquillement puis il arriva le lendemain un des couples de la collocation, ces derniers revenant de six mois d’erasmus en Roumanie. Après un déménagement de leur grand Van plein à craquer nous passons le reste de la soirée autour de quelques tartes à l’oignons dont j’avais préparé, des histoires roumaines résonnant des cœurs encore gonflés de cette belle aventure.
Je partis de nouveau dans mes vagabondages de lieux par un nouveau et dernier couchsurfing dont je m’y rendis en fin d’après-midi.
Agata, jeune polonaise ayant vécu plus de trois ans en France, possédait un français absolument parfait et paraissait ravi de pouvoir de nouveau parler cette langue, bien qu’elle le faisait régulièrement avec son copain bordelais sur skype.
Fatigué de ces derniers jours à veiller tard je vécu une très belle soirée en sa compagnie, discutant tranquillement autour d’un bon thé.
Son personnage était des plus ou moins unique : Elle semblait toujours dire ce qu’elle était en train de penser et cela à un degré toujours honnête, simple, légèrement troublant au début mais très agréable une fois passé cette stupeur.
Même ces questions à propos de mon voyage sortaient de la normale.
En guise de repas elle me fit la surprise de me demander si j’aimais le foie gras car il lui en restait et elle n’aimait pas forcément le goût. Et miracle elle me sortit en plus de la confiture de figue.
Ce soir-là en Pologne, un français connu un bonheur gastronomique proche de l’orgasme.
Le lendemain après-midi, je rencontrais Yann, un ami de Paulina m’ayant contacté afin de tourner un reportage sur mon mode de vie dans le cadre de ces études. Ayant pris tout mon équipement pour plus de réalisme, nous passons la journée à tourner des scènes dans la rue, dans la nature, et pour finir un enregistrement d’une voix off de ma part dans un studio professionnelle.
Ce fut très intéressant, surtout au niveau des techniques de montage et plans de vue mais cela pris beaucoup de temps et je revenais le soir assez fatigué.
J’avais décidé de reprendre la marche le lendemain, j’avais presque finis d’écrire mon dernier récit de la Lituanie et je sentais que un formidable besoin de solitude prenait le pas sur celui de la rencontre.
Agata, ce soir-là, avait invité plusieurs de ces amis dont un Palestinien musicien jouant de l’oud, un curieux instrument proche d’une guitare dont une démonstration nous fut offert.
Musique, crêpes, discutions, la soirée fut très sympas et à peine couché je dormis d’une traite jusqu’au matin.
Je fis mes adieux à Agata vers dix heure puis partis une dernière fois au centre-ville afin de revoir mes amis restaurateur. Je restais un peu plus longtemps que prévu, on me servit de nouvelles recettes, on m’offrit du brownie à emporter puis je finis par partir tout ému.
Je restais quelques heures dans un magasin de cartes topographiques puis en acheta quelques-unes afin d’un futur repérage de montagnes.
Je quittais enfin la ville et tout se renversait d’un coup, je réalisais que je marchais plein sud fuyant tête baissé ces bruits, ces rencontres, ces surprises, ce trop pleins d’événements.
Le trop était arrivé, ce trop dont je me méfiait depuis si longtemps ; Je venais de poser le pas sur une limite dont j’avais moi-même tracé la ligne. Mais peut-être je ne devais pas m’en inquiéter.
Ce que je ressentais n’étais rien d’autre qu’une simple suite de ce mode de vie : Celui du besoin de solitude et de nature dans un point de vue puriste et extrême. Je ne l’attendait pas si tôt, mais ce moment était désormais arrivé et je ne devais absolument pas le fuir mais courir à sa rencontre, la peur au ventre mais l’excitation au cœur.
J’en était arrivé à un stade où les rencontres me laissaient presque dans l’indifférence, où j’en avait marre d’entendre et de toujours devoir répondre aux mêmes questions, de subir des compliments sur ce que je faisais et non pas sur ce que j’étais, où mon esprit tout entier criait de toute part son envie d’être seul.
J’eu soudain soif d’aventures intérieurs.
J’avais un projet qui trottait dans ma tête depuis des mois, un projet qui prenait forme et sens jour après jour, surtout maintenant.
Tout s’enchainait parfaitement en fait, mes sentiments et la géographie de l’Europe semblaient s’être concertés tout au long de ces mois afin de m’offrir à chaque fois un emploi du temps reflétant mes différentes étapes de vie de cette marche.
Ce projet, celui qui occupait désormais mes pensées jour et nuit, je vous le livrerait au prochain chapitre.
Il restait à peine trois heures de jour mais ce fut assez pour marcher la quinzaine de kilomètres suffisante pour me sentir assez loin de tout.
Je dormis mal, rendus malade par un trop pleins d’immobilité et d’une épidémie de fièvre.
Je marchais en nature le lendemain, suivant des pistes cyclables et sentiers traversant des petit parcs régionaux. La glace de certains lacs était encore solide, les oies marchaient dessus sans vraiment comprendre.
Je continuais de la sorte jusqu’au soir l’esprit libéré.
Alors que, en vue de nombreuses traces de sangliers je me disais que je ne devrais vraiment pas trainer dans les parages et de ne surtout pas monter ma tente ici, un énorme pachyderme se détacha de l’ombre d’un sapin et passa à moins de trois mètres de moi dans sa fuite paniqué. Tout surpris et étant en train de prendre des postures de guerrier en lui hurlant de ne pas revenir, quatre autres sangliers encore plus gros surgirent à côté et passèrent aussi près que le précédent.
Je partis tout tremblant afin de trouver une nouvelle place d’un accueil moins brutal.
Etant en train de lire près de mon grand feu, je dus vite rentrer me coucher à cause d’un formidable mal de crane. Comme on dit : Un aspirine et au lit !
Une journée superbe m’attendait le lendemain, je traversais des champs entiers faute d’avoir trouvé une route et ayant suivis les « indications » d’un paysan. Les cigognes arrivaient de toute part désormais, elles occupaient les pâturages et le ciel en apportant se petit quelque chose de plus à chacune de leurs apparitions.
J’avais été contacté voilà déjà dix jours par une journaliste-voyageuse qui avait remarqué mon annonce public sur couchsurfing. Celle-ci ayant connu et vécu des expériences de voyages à pied, m’avait proposé de m’héberger quelques jours dans son petit village.
J’arrivais chez elle au coucher du soleil.
Ula me fit rentrer dans sa belle maison et tandis que je posais sac et bâton je remarquais son regard, occupé à calculer mentalement quelle type de matériel j’avais, qu’elle poids faisait mon chargement, avec quelle chaussures je marchais…
J’avais exactement ce genre de comportement lorsque je rencontrais d’autres voyageurs. On allait donc bien s’entendre.
Ula , mère d’un adorable petit garçon d’une dizaine d’année, était une femme d’une grande beauté ayant un passé de vie des plus impressionnants au niveau de la diversité :
Ayant commencé ingénieur forestier pendant plusieurs années et ayant même eu sa propre entreprise, elle avait bifurqué pour le journalisme en différents domaines pour finir en free-lance ; Mais depuis quelques années elle était devenu professeur d’anglais dans une école de village, aspirant à moins de pression et appréciant un emploi du temps disposant de temps libres lui permettant de voyager et de s’occuper de son fils.
Elle continuait à écrire des reportages temps en temps, à la manière d’un passe-temps.
En 2013, en compagnie d’un ami suisse, elle s’était rendu dans la région de Tuva, au centre-sud de la Sibérie, frontière de la Mongolie, région des plus désertes et montagneuses, cela afin de parcourir les steppes et montagnes pendant plus de six semaines, avec un cheval en guise de porteur et un chien pour prémunir des prédateurs et voleurs éventuels.
Son récit qu’elle me fut, agrémenté de photos irréelles, était vraiment prenant ; Elle me raconta les traversées de marécages, le cheval ayant presque été englouti dedans, les paysages d’une beauté sauvage incroyables, le mode de vie avec un chien et un cheval, leur trois semaines à ne rencontrer personne, leur rencontres à travers une culture d’une différence à peine envisageable, une blessure du pied les ayant contraint à stopper au milieu de nulle part pendant dix jours, les forçant à se rationner.
Elle ne rêvait que de repartir pour une autre expédition de la sorte mais la charge de son enfant lui contraignait d’une belle façon à garder les pieds sur terre.
Ce dernier était un passionné de Star Wars, de lego et d’accordéon ; Le virus du voyage que sa mère lui apportait jour après jour à travers des sorties en montagnes et forêts semblait l’avoir déjà pris, malgré son jeune âge.
Je passais le reste de la soirée avec ce dernier, me donnant un cours sur la prononciation du polonais.
Je restais la journée du lendemain, à poster mon dernier récit de Lituanie sur mon site internet, à cuisiner ainsi que à discuter avec Tuva, ayant une maturité de vie très puissante et étant ouverte sur des sujets très profonds.
Elle me parla de son métier d’institutrice qui selon elle, avait perdu au fil de ces dernières années toute sa valeur.
– L’arrivée des nouvelles technologies, des téléphones tactiles, de la facilité d’accès sur la toile presque de n’importe où et surtout des réseaux sociaux à considérablement bousculé et affaibli ces enfants dont les jeux dans la nature, les livres, la communication réelle, tout cela n’ayant désormais plus aucune signification face à leurs petits yeux rivés sur des écrans sans vie.
– Je réalise que je ne peux pas les aider, il y a trop de tentations de leur part qui leur sont offerte dont nous, les adultes, sommes responsables, cela en croyant leur offrir un bonheur leur amenant que du malheur.
– Il y a dix ans de cela, les enfants étaient attentif en classe, ils écoutaient, participaient… Leur regard, hypnotisé par un trop plein de pixel est maintenant désintéressé du monde réel. Pour te citer un exemple la semaine dernière j’ai dus réveiller une petite fille s’étant endormit sur son bureau ; Elle me dit que c’était dut au fait qu’elle avait regardé la télévision jusqu’à une heure du matin; Lorsque je lui ai demandé pourquoi ces parents lui avait permis cela elle m’a répondu simplement qu’ils ne le savaient pas car elle avait sa propre télévision dans sa chambre…
– La facilité du divertissement est devenu trop simple… Lorsque l’on voit que en mettant juste une tablette dans les mains de son bambin on peut être tranquille pendant quelques heures, même les relations parents-enfants en prennent un coup tant celles-ci en deviennent faussé par un manque de contact direct entre eux.
– Et le professeur dans tout cela, n’en est que le spectateur impuissant.
On parla ensuite de la religion en Pologne, dont le taux de catholiques, ou plutôt de ceux qui se déclarent comme tels, reste un des plus élevés au monde.
– La croyance catholique est devenu aveugle, les gens vont à la messe d’une façon automatique, afin que les voisins soit témoins qu’il s’y rendent ; Le plus impressionnant sont lorsque que les enfants de l’école doivent s’inscrire afin de passer leur première communion : Sur les huit cent élèves de mon école mon fils fut le seul à n’avoir pas fait sa première communion, et cela par choix de sa part.
– Cette première communion en Pologne a presque autant d’importance que le mariage ! L’enfant est plus motivé par la perspective d’être couvert de cadeaux et l’argent que par le côté religieux.
Il est ou le dieu la dedans ??
Je partis le lendemain matin, heureux d’une telle rencontre si « vrai ».
Je passais les quatre jours suivant à marcher dans les campagnes, à traverser les villages à la hâte et en courant me réfugier dans les bois à la tombée de la nuit. Je ne désirais plus de rencontres et était heureux le soir en écrivant juste quelques lignes sur mon carnet tout en lisant de beaux livres.
Mais bien sur je ne pus empêcher des policiers de m’inviter pour le thé et les gâteaux au commissariat, de ne pas me faire offrir le lunch par une bibliothécaire parlant quelques mots de français, de ne pas répondre à des questions d’enfants enjoués dans la rue.
Mais je le faisais désormais à contrecœur, désirant simplement être tranquille dans l’effort et la nature.
Le printemps s’installait vraiment, les nuits étaient devenus douces, à peine un degré, et je marchais désormais en simple pull la journée. Je profitais de mes pauses de midi pour renforcer mon sac à dos dont ces dix derniers mois l’avait fragilisé à certains endroits.
Entretenir et être attentif à son matériel est une de mes disciplines dont je considèrent comme une des sources d’un équilibre. L’utilisation quotidienne de mon équipement provoque une usure bien sûr, chaque chose à une durée de vie limité mais on serait surpris à quel point il est possible d’augmenter cette durée avec de bons yeux, du fil de pêche, de la super glue bon marché, des bouts de sangles ou de cuir, du pneu de voiture découpé, et le tout avec une utilisation méticuleuse, sans gestes brusques.
Ces jours me firent du bien et j’arrivais un soir à une dizaine de kilomètres de ma dernière ville avant plusieurs mois : Wrocław.
Un ami de ma sœur Céline, ayant de la famille près de cette ville, m’avait donné leur contact afin qu’ils puissent m’héberger si jamais je passais dans le coin.
Arrivant donc à Krzeptow, je trouvais leur belle maison et fis la connaissance de Mietek et Beata qui attendaient mon arrivée.
Installé dans l’ancienne chambre de leur fille je passais le reste de la soirée en leur compagnie de ce joli couple et de leur beau labrador, ce dernier ayant eu la peur de sa vie lorsqu’il m’aperçut avec mon bâton et chapeau dans l’obscurité de la nuit.
Beata était une ancienne correctrice de livres et son mari Mietek, avait monté son propre business de pose de panneaux publicitaire qui semblait prospérer.
Les deux parlaient un Français très acceptable et la conversation en fut très aisé.
Je m’étais fait envoyé par mon père un paquet contenant principalement mon nouvel appareil photo ainsi que une paire de chaussures toute neuve que j’avais acheté l’année dernière en prévision d’un envoi au cours de route.
Lorsque l’on possède si peu, remplacer ou perdre une affaire devient une véritable épreuve sentimentale ; On s’attache à chaque objet, on lui parle, on le remercie, on le voit doté d’une âme.
Mes vieilles chaussures, ma troisième paire du voyage, ayant parcourus plus de quatre mille deux cent kilomètres, mon appareil photo, ayant capturé presque cent mille photos et vidéos, j’avais l’impression de perdre deux amis précieux pour les remplacer par des inconnus.
Mais l’attachement aux objets doit être manié avec précaution. L’être libre est celui qui voit en chaque possessions de simple objets de passage. Je suis conscient d’être encore très loin de cet état.
Je restais cinq jours où je ne m’ennuya pas du tout. J’écrivais beaucoup, partis avec Matiek visiter la ville, on se rendis dans un parc régional à l’aurore afin de photographier la faune en nature, je fis la connaissance de son neveu et ces amis qui m’emmenèrent faire du foot, cinéma et quelques tournées de bars.
J’avais beau avoir ce besoin de solitude j’essayais de le mettre en « stand by » pendant au moins ces trois prochaines semaines. Je savais que c’était la dernière ligne droite avant le grand projet, dont la pensée tournait désormais à l’obsession.
Matiek possédait un humour très agréable et était remplit d’une belle sagesse intérieur qui me fis écouter avec attention chacun de ces conseils et histoires.
Impossible de traverser la Pologne sans avoir à voir et à entendre parler du souvenir des années d’occupation que ce pays a connu. Les pays Baltes m’avait déjà interloqué par ce sentiment ressenti mais la Pologne en paraissait encore plus touché, plus frais.
– Cinquante ans de communisme c’est impossible à comprendre sans l’avoir vécu, me dit Matiek un soir autour d’un thé et de donnuts, même les jeunes de ton âge vivant en Pologne ont du mal à le réaliser… Cela ne fait que vingt ans que cela a pris fin et il en faudra encore plusieurs afin que les gens s’en remettent, qu’ils recommencent à prendre l’habitude de penser par eux même, de faire des projets et rêves personnels…
Je partis un matin après de profonds remerciements pour ces deux personnes m’ayant accueilli, nourri et offert de beaux moments en leur compagnie.
Il est très difficile de trouver une bonne balance entre accepter des autres sans pour autant trop le faire. Ne pas vouloir profiter ou avoir peur de déranger me bloque par moment. En ressort toujours une impression de trop prendre, de trop recevoir sans ayant eu la possibilité de rendre un centième de cela. J’espère juste que la vie m’offrira un jour la chance de pouvoir vider cette ardoise de joie que j’aurais accumulé.
Douze kilomètres m’amenèrent au centre-ville, magnifique au niveau de son architecture.
Je me rendis ensuite dans une auberge de jeunesse pour quelques nuits.
Un personne avait prévu de me rendre visite pour une dizaine de jours, une personne que j’avais eu un peu de mal à ne pas garder contact puis enfin à ne pas organiser ces petites «vacances » en sa compagnie.
A quatre heure du matin en ce cinq mars, je me rendis à la station de bus tout impatient et en même temps tout troublé.
Il y avait foule, mon regard parcourait les alentours puis soudain je l’aperçus : Portant un gros sac à dos et laissant apparaître en se retournant un timide sourire mettant en valeur des yeux d’un vert profond.
Une pause douceur dans cette longue marche…. Avant cette longue épreuve qui m’attendait.
Jérôme
Salut Jérôme,
toujours plaisant de lire tes retours, bravo !
je suis comme toi quand tu racontes ton sentiment envers les gens qui t’accueillent le long de ton parcours…Quand je voyageais, j’avais ce sentiment de prendre et de ne rien donner en retour aux autres, mais ces personnes le font sans intérêts aucun, t’héberger, te recevoir est pour eux une joie, ils s’évadent de leur quotidien en te recevant et en discutant avec toi, écoutant tes récits, ils voyagent à leur tour. Le tout est de ne jamais abuser, mais ce n’est pas ton état d’esprit…..
Sinon, curieux de connaitre ton fameux projet !!!
Bonne continuation et prend soin de toi