La quête de la liberté est une quête vouée à une existence solitaire.
L’humain n’est pas fait pour être une créature libre. Il aime par-dessus tout être dirigé, sans jamais oser se l’avouer ou voir souvent s’en rendre compte. Que ce soit par une religion, un patron, ces géniteurs, une épouse ou un mari il semble toujours chercher à avoir quelqu’un au-dessus de lui soit lui dictant une conduite à avoir, soit jugeant ces actions en bien et en mal. Ne plus avoir ce genres de juges au-dessus de soi consiste à s’affranchir de notre propre existence par rapport à eux. S’en libérer c’est se libérer. On existe alors pour soi et non à travers eux.
Etre libre demande le plus grand de tous les efforts et en même temps le plus évident : Réaliser tout simplement ce que le cœur nous murmure. Bien entendu afin de percevoir ce dernier il faut pour cela avoir habitué quelque peu ces oreilles, tout en étant de plus près à entendre la définition de son propre bonheur, définition dont la voie à suivre n’est pas souvent la plus facile.
Cette révolution intérieure nécessite de constantes remises en question, d’acceptation d’erreurs, d’interrogations. Il n’y a aucun repos possible une fois les armes prises pour cette révolution car vous ne tardez pas à comprendre que la stagnation de l’esprit n’est désormais plus une option envisageable.
Bien entendu vous êtes seul du début à la fin.
Souvent la tentation de revenir à une vie plate et calme peut arriver. C’est après tout parfois très agréable de ne plus réellement penser ; c’est un repos de l’âme apaisant et envoutant. Mais vous avez découvert qu’un esprit endormi et rassuré est un esprit qui ne fonctionne qu’à un infime pourcentage de ces capacités réelles.
Un avion en pilotage automatique est rassurant car il empruntera toujours le même chemin sécurisé. Mais il verra aussi toujours les mêmes paysages…
Un esprit ayant peur tout en découvrant l’inconnu est un esprit créatif dont sa force vient de sa libération de la pensée collective. Délivré de l’entrave psychique des normes, des règles à suivre, des traditions ou encore des influences de grands penseurs, le dôme artistique individuel retrouve sa vraie puissance d’action. Dès lors il n’y a plus grand-chose en ce monde pouvant l’arrêter.
Etre capable de voir les choses d’un autre angle de vue tout en sortant de l’enceinte de sa propre prison…
La frontière de l’ukraine passée je ressens comme toujours cette petite excitation de chaque partie du corps lorsqu’il s’agit d’un inconnu tout juste arrivée. Les sens auditifs, olfactifs et visuels prennent une acuité plus importante que la normale pour la durée de quelques jours. Tout est nouveau, tout est surprise, tout est beau même quand c’est moche. Cet état dur généralement une petite semaine, le temps que certains repères de « l’esprit du pays » s’installent en soi.
C’est le petit matin, plusieurs dizaines de vendeurs de myrtilles sont assis en plein soleil tout au long des quelques magasins construits aux abords de la frontière. Chacun possède son seau de dix litres remplit de milliers de petites boules noirs toutes fraiches. En passant devant eux, me sentant scruté de toute part de mes moindres gestes, je me demande bien comment, vu leur nombre, par quel miracle ils arrivent à vendre leurs récoltes.
J’arrive à Velykyi Bereznyi ou plutôt Великий Березний. L’alphabet cyrillique est de retour pour moi. Depuis la russie je l’ai quelque peu oublié mais je me rappelle qu’il ne faut pas très longtemps pour le maitriser à peu près comme il faut. Déambulant dans la rue centrale de ce grand village je suis frappé par le changement radical d’ambiance par rapport à la Pologne ou la Slovaquie. Les rues de sables et de goudron érodé laissent passer des carrioles tirés par des chevaux couverts de poussière, de vieilles Lada roulent paresseusement un peu de partout, les bâtiments et leurs façades délabrées paraissent avoir garder en leurs fondations la vieille devise slave : Tant que cela passe l’hiver… Mes yeux sont devenus de vrais aimants changeant de pôles d’attraction à chaque nouvelle seconde.
Je trouve un distributeur et retire un millier de hryvnia, correspondant à une cinquantaine d’euros.
Une dizaine de randonneurs sont assis près d’un banc, ils sont polonais et il y en même trois parlant français. Ils sont apparemment en train de valider leurs diplômes de guides de montagnes à travers plusieurs exercices d’orientation à la carte dans les montagnes voisines. Après une petite heure passé en leur compagnie je pars en quête d’un logement pour quelques jours ; je suis en effet vraiment fatigué des dernières semaines de marche, et je ressens une furieuse envie d’écrire. J’ai de plus de nombreuses réparations et renforts à faire pour mon sac à dos avant de m’engager dans la traversée des carpates d’ukraine.
Un homme me conseille d’aller voir du côté de la gare. L’endroit est à moitié en ruine mais cela ne semble pas l’empêcher de fonctionner normalement. Ils ont en effet des chambres à louer à l’étage. La douche consiste en un bac et un robinet d’eau froide dans une minuscule pièce de béton, le train passant toute les deux heures produit un tremblement assourdissant et la chaleur y est étouffante. Un vrai paradis pour trois euros la nuit !
A l’aide de mon pauvre petit savon je fais une grosse lessive à la main, me lave tant bien que mal puis sors me balader dans le village. Un groupe de personnes dans un des nombreux bars m’interpelle soudain et avant que je me rende compte de quoi que ce soit je me retrouve à devoir enchainer un énième shooter de vodka en leur compagnie. Je suis tombé sur tout une équipe de champions de musculation fêtant leur vacances. Un seul d’entre eux possède un petit vocabulaire d’anglais. Je m’en tient quitte à devoir forcer mon cerveau à imaginer de nouvelles façon d’échanger.
Ils semblent ravis d’avoir à leur tablé un français ; tellement que les toasts ne s’arrêtent pas avant tard dans la soirée. Je les quitte enfin puis rentre tout titubant à travers les rues. Bon et bien bienvenue en ukraine…
Comme il fallait s’y attendre un gros mal de tête me fait passer une sale journée le lendemain. Je reste en tout quatre jours à cet endroit puis pars un matin très tôt, la partie «triage de photos et écriture» du mois précédent achevée.
Je quitte le village tout heureux de reprendre la mobilité des jambes. Je marche sur la route en direction d’un massif de crêtes situé à deux jours de marche.
Je n’ai heureusement pas le problème de devoir trouver les cartes détaillés à chaque nouvelle étape. J’en transporte près de deux kilogrammes dans mon sac à dos. Ayant préparé mon itinéraire l’année passée alors que j’étais en Pologne j’avais profité d’un passage en ville afin de me fournir de l’intégralité de ces cartes pour près de deux milles kilomètres de montagnes polonaises, ukrainiennes et roumaines. Cela est lourd à porter mais je trouve le prix bien faible pour avoir la possibilité de marcher où je veux.
Un homme s’occupant des aiguillages du train dans une petite cabine m’offre son déjeuner après avoir parlé quelques minutes avec moi. Je marche quinze kilomètres sous une chaleur torride avant de bifurquer dans un fond de vallée en suivant une petite route. Je traverse alors une succession de villages tout aussi authentiques les uns des autres. Lors de ma marche en russie j’avais ce que j’appelais des « apparitions russes », c’est-à-dire des images et évènements contrastant de façon brutale de ce que j’avais l’habitude de voir. Je recense désormais mes « apparitions ukrainiennes » : il y a tout d’abord la grand-mère octogénaire tenant une énorme hache dans ces mains, occupée à fendre tranquillement un énorme tas de buches pratiquement deux fois plus haut qu’elle ; vient ensuite un groupe de quatre enfants de bas âge dirigeant un troupeau d’une dizaine de vaches à l’aide de longs bâtons qu’ils n’hésitent pas à faire claquer sur le derrières de ces passives bêtes ; puis arrive un véritable défilé de poules dans les rues, mise en liberté conditionnelle par leurs propriétaires sans aucune appréhension de leurs parts qu’elles s’échappent ou se fassent tue par les chiens. Surveillant les allers et venues de chaque nouveau évènement du village je nomme les oisifs occupant le poste de vigie construit devant chaque maison : le banc. Pour terminer j’appelle de ce qu’au moins une famille sur trois semble posséder dans leur jardin : L’énorme camion à benne tout terrain et indestructible semblant dater de l’avant-guerre soviétique.
En étant témoin de ces magnifiques spectacles je réalise que la pologne du sud, assez touristique vers la fin, ne m’apportait plus grand-chose en terme de surprises.
Je marche jusqu’à vingt-heures. En demandant de l’eau à une petite vieille celle-ci m’offre en complément un kilogramme de fromage frais ainsi qu’une bouteille de lait. Je la remercie chaleureusement, elle et sa vache en train de brouter à côté.
Je dors à la sortie du village, après m’être baigné dans une rivière à l’eau un peu douteuse quant à sa pureté. M’ayant entendu jouer de l’harmonica une mémé habillée dans un gros patchwork de vêtements arrive, elle me tient une conversation que je ne comprends pas tandis que je finis tranquillement ma soupe de nouilles. Je lui offre un gros biscuit qu’elle fourre dans sa poche puis avec un immense sourire elle s’en repart comme elle est arrivée.
Mes plaies dans mon dos à cause de la transpiration et du frottement de mon sac à dos s’ouvrent de nouveau dès les premiers kilomètres de la journée. Je dispose ma serviette en sandwich afin de calmer la douleur. La chaleur me cloue sur place et je peine à avancer. Un pépé marche avec moi cinq-cents mètres afin de m’indiquer un chemin par la montagne pour rejoindre le village de l’autre côté. Trois cents mètres positif plus tard dont autant de négatif j’arrive à Tychy, un hameau d’une centaine d’âmes. Un enfant hurle de rire en poursuivant un coq aussi grand que lui dans un jardin clôturé ; vu la fougue du bambin je parierai sans hésiter sur lui.
Après une pause à l’ombre près d’une rivière je coupe à travers un deuxième flanc de montagne aussi épuisant que le précédent. Pas de sentier cette fois, j’arrive exténué et dégoulinant de sueur de l’autre côté. La crête que je compte suivre est devant moi. J’ai juste à grimper les six-cents mètres de dénivelés de forêt qui me sépare d’elle. Il n’y aura aucun ravitaillement d’eau jusqu’à demain soir, je me charge de trois litres. C’est peu mais je n’ai pas d’autres bouteilles.
La forêt est pleine d’arbres couchés, de pierriers et de broussailles ; deux bonnes heures me sont nécessaires pour atteindre la chaine dégagée du haut. Je m’écroule de fatigue sur mon lieu de bivouac. Le paysage n’est que beauté d’horizon et de silence autour de moi. En tenue d’Adam je profite des derniers rayons du soleil tout en finissant de lire le Robin Hood de Pierce Egan. Robin des bois est décidément mon héro préféré ; j’ai su que je finirai un jour ma vie dans un village de cabanes perchées lorsqu’à dix ans je voyais pour la première fois « Robin des bois prince des voleurs » avec Kévin Kostner.
Le soleil couchant était bien partit mais quelques nuages bas viennent l’interrompre. Tant pis il y en aura d’autres à venir.
Je commence la journée très tôt, le soleil et le vent me conviennent parfaitement. Je marche en suivant la ligne de crêtes tout le matin. Je ne croise aucun randonneur dans ce paradis sauvage. Les myrtilles abondent de partout et j’aperçois au loin les cueilleurs équipés d’un peigne et d’un simple sac à dos qu’ils remplissent à ras bord avant de redescendre en bas. De sept à soixante-dix-sept ans il semble n’y avoir aucun âge pour cette activité. Quatre heures plus tard j’arrive au Pikuj, le point culminant à 1408 mètres. Une quinzaine de personnes sont présentes près de la grande croix érigée au sommet.
On m’invite à me joindre à leur pique-nique.
-Nous sommes une grande famille venant du village en contrebas, me dit l’un des jeunes parlant anglais, comme on est tous un peu dispersés à cause des études et du travail, on a une tradition qui est de tous se retrouver à cet endroit tous les treize juillet.
Une nappe à terre regorge d’un amoncellement de victuailles ; on m’offre une assiette garnie. Les légumes viennent de leurs potagers, le pain de leur four, la viande de leurs bêtes et même leur eau de vie et le whisky sont fait « home made ». Un toast ne se refuse jamais et une tradition en ukraine veut qu’il s’en fasse un minimum de trois. On trinque à la France, à la rencontre et à la montagne. Mon pauvre foie en prend encore un coup. On m’apprend de nouveaux mots et expressions du pays que je note en phonétique sur un carnet.
Avant de les quitter on me donne rendez-vous pour l’année prochaine à la même date et au même endroit.
Je redescend durant de longues et pénibles heures à travers un sentier bien effacé. Mes genoux n’ont pas l’air d’apprécier.
Je n’ai plus d’eau depuis une heure, je continu à marcher dans les forêts, collines et champs jusqu’au soir. J’arrive à un croisement de route avec un magasin de souvenirs et un bar. J’englouti trois litres d’eau sans presque m’arrêter tellement je suis déshydraté.
Le sentier que je veux rejoindre n’existe plus depuis longtemps, je finis par en trouver un semblant mener dans la bonne direction. Une petite rivière me fait pousser un hurlement de joie, je ne pensais pas en croiser une avant le lendemain. L’endroit est loin d’être paradisiaque mais je plante ma tente quand même. Je m’asperge d’eau jusqu’à ce que la moindre goutte de sueur soit partit.
S’ensuit ensuite une lessive de chaussettes, caleçon et tee short. Il y en avait bien besoin.
La pluie battante me réveille et je pars équipé de mes gore-tex. Je monte la montagne par un chemin forestier presque effacé. Une heure après tout n’est que broussailles m’empêchant de continuer. Tant pis je décide de redescendre de l’autre côté par les bois. La pente est extrêmement pentue et un nombre incroyable d’arbres couchés à terre m’obligent à chaque fois à les contourner. Je suis au bout du moral, trempé, perdu et engagée depuis plus d’une heure dans une sacrée jungle. Ma carte au 1/100 000ème n’est pas assez précise pour un bon repérage. Je traverse une rivière, me hisse sur l’autre versant en glissant dans une boue salissante puis arrive enfin à trouver un chemin. Il doit surement conduire au village proche et je pourrais ainsi prendre par la route toute la journée afin d’éviter les montagne. Mais renoncer c’est échouer ! Je quitte le chemin pour m’élever un peu plus haut bien décidé à trouver le sentier censé passer sur les hauteurs. Il m’apparait un kilomètre plus loin. Que je suis heureux !
Je suis trempé de la tête aux pieds, je passe à travers des passages me le faisant devenir encore plus, mais cela ne me fait plus rien du tout. Il n’y a vraiment qu’en étant sec et tout propre que l’on arrive à sentir la moindre goutte humide et désagréable. Je vois là une belle image philosophique.
Je marche deux heures avant de me rendre compte que j’aurais dut prendre l’autre versant depuis quelques kilomètres. C’est un peu le problème en forêt, il n’y a aucun moyen de se repérer de loin. Mais ce n’est pas grave je suis au moins passé de l’autre côté de la montagne.
J’arrive en vue d’habitations au moment où le beau temps revient. Les villages de vallées s’étendent sur généralement cinq à dix kilomètres, avec une seule rue centrale. Passant par les routes je marche encore dix-huit kilomètres avant de m’arrêter à une heure de marche de Volovet’s. J’aperçois au loin la haute chaine de crêtes que je m’apprête à suivre pour les prochains jours. Allongé dans ma tente je mange comme des chips un sachet de nouilles chinoises avec le reste d’un morceau de fromage. C’est frugal mais je n’ai plus rien d’autre à manger.
La petite ville de Volovets n’est pas très belle mais reste agréable pour l’œil curieux. Je me ravitaille ce matin en nouilles, pain, chocolat, biscuits et saucisson puis me dirige en direction des montagnes. Je n’ai pas envie de marcher aujourd’hui ; je suis fatigué puis désire vraiment passer un peu de temps immobile en nature. Je trouve un coin en forêt bien éloigné du sentier puis plante ma tente. J’allume un feu. Que je suis heureux tout d’un coup de m’être pris cette journée de repos. Je décide désormais de me faire ce genre de « pause forestière » à intervalle plus régulier. A vivre dans le mouvement et l’effort tous les jours, j’en arrive parfois à oublier la joie de l’immobilité et de la « vie » dans les bois.
Je m’arrête dans le temps quelques heures tout en sculptant une cuillère dans une branche d’hêtre sèche. Utilisant mon gros couteau à la manière d’une hache, je dégrossis le bois tout en lui donnant la forme grossière, puis mes coups de couteau se font plus précis et au bout de deux heures je peux commencer à creuser l’arrondis de la cuillère. Ne disposant pas d’un couteau croche, j’utilise la manière la plus ancienne qui soit pour ce genre d’entaille : Avec une simple braise disposée sur le bois puis soufflée afin de l’attiser. La méthode est assez longue mais après cinq braises incandescentes usées l’arrondis est très acceptable. Il ne reste plus que les petites finitions au couteau et au papier ponce.
Le reste de la journée est assez calme, je lis beaucoup, bois du thé, écoute de la musique, répare quelques menus choses, joue de l’harmonica, me lave.
Bien reposé je reprends mon sentier au matin ; il monte de sept-cent mètres jusqu’au sommet où un vent déchainé m’accueille. J’ai une magnifique vue sur Volovet’s et ces montagnes environnantes. Je peux même retracer mon parcours de ces deux derniers jours.
Je poursuis l’avancée sur la crête offerte aux éléments. Un groupe d’énormes corbeaux s’amuse à faire du sur-place sur les arêtes ; comment font -il pour se maintenir alors que les rafales doivent avoisiner les quatre-vingt kilomètres à l’heure ? Il y a même un malin qui s’est trouvé une technique consistant à tenir une branche d’un buisson par le bout de son bec puissant.
J’atteins une sorte d’ancien bâtiment météorologique huit kilomètres plus loin. Il n’y a personne si ce n’est deux chiens errants ne semblant demander qu’un peu de nourriture. Je fais ma pause à l’abri derrière un mur.
L’environnement rend ma marche dopante. Si certain le sont par la chaleur ou la compétition, pour ma part c’est la hauteur et le vent. Je croise quelques rares randonneurs de temps à autre; un groupe d’ukrainiennes me questionne longtemps sur mon voyage tout en m’offrant de bons gâteaux. Décidément le charme slave est vraiment unique en son genre…
Je décide de planter la tente à mille quatre-cent-cinquante mètres, devant un magnifique horizon. Le vent se calme un peu mais reprend de plus belle en fin de soirée. La pluie arrive puis le tonnerre et les éclairs. Je jubile d’enthousiasme en entendant les bourrasques puissantes et la pluie battante frappant mon abri de nylon tendu à son maximum. Se sentir faible dans une puissance indomptable.
Je suis réveillé durant la nuit à plusieurs reprises à cause de quelques rafales particulièrement violentes. Mais heureusement après la tempête subit dans les Tatras de Pologne j’ai désormais une grande confiance en la solidité de ma tente.
C’est un brouillard à couper au couteau au levée du jour. J’avance pendant plusieurs heures dans cette purée de pois d’un silence vraiment troublant. Seul le bruissement d’ailes des corbeaux vient perturber ce dernier. La pluie revient et transforme mes chaussures en de grosses piscines en moins d’une heure ; elles n’ont décidément plus la même imperméabilité de leurs premiers kilomètres. Le sentier n’est pas facile à suivre car celui-ci ne fait que de se diviser en plusieurs autres. Mes yeux alternent entre la carte, la boussole, l’altimètre et le paysage.
Je m’arrête pour grignoter un bout de saucisse et de pain au bout de quinze kilomètres. J’entame ensuite la longue redescente. J’apprends à surfer sur les chemins boueux. Un groupe d’une trentaine de personnes arrive en sens inverse ; équipés de simples baskets et d’énormes sacs à dos, certains sont aussi rouge qu’une pivoine à force de monter trop vite. Je me met à spéculer sur le nombre de kilomètres qu’ils arriveront à tenir avant de rebrousser chemin vu la météo en haut.
La brume se décide enfin à se dissiper, de magnifiques jeux de lumières s’en découlent.
J’arrive le lendemain à Mizhgirya. Ce grand village est marrant, toute vivant et désordonné. Un grand marché a lieu sur la grande place, de grosses statues de bronze trônent au centre, vestige de l’époque soviétique. Les églises orthodoxes présentes, généralement les seuls bâtiments en bon état dans les villages, sont vraiment impressionnantes au niveau de leurs couleurs et formes. J’ai un peu la sensation de me trouver à Disneyland par moment.
Encore une fois c’est impossible de ne trouver mieux qu’une minuscule épicerie pour me ravitailler. Je suis surpris des prix si bas des denrées. Je n’arrive même pas à dépenser plus de cent hryvnias, soit l’équivalent de trois euros.
Je sors de la ville pour prendre sur les montagnes. Il n’y pas de sentier là où je me rends et la brume est revenue, aussi épaisse que la veille. Je m’égare au tout début, n’ayant pas pris le bon sommet de référence pour mon orientation.
Je commets beaucoup d’erreurs ces derniers temps ; à chaque fois je note sur un carnet quelques « règles universelles de navigation » dont leurs apprentissage se fait grâce à ces erreurs.
Revenu dans la bonne direction je grimpe la forêt silencieuse et humide. Bientôt j’arrive sur la crête où je n’aperçois plus rien à plus de cent mètres. Les heures passent, je ressens un plaisir immense à me diriger à la simple boussole.
Six chevaux percent d’un coup le brouillard, s’écartent à mon passage puis se fondent de nouveau dans l’invisible paysage. Cette apparition me laisse le cœur battant de joie. Je me sens si seul tout d’un coup.
Deux heures plus tard je rejoins un sentier et l’horizon se dégage enfin. J’aperçois le village que j’atteindrais demain matin. Croisant la route d’un berger celui-ci me mène pendant quinze minutes à travers la forêt afin de m’indiquer une source d’eau souterraine que je n’aurais sans doute jamais trouvé.
La pluie s’arrête, j’en profite pour installer ma tente puis faire un feu. Je passe la soirée à lire dans mon sac de couchage.
Pour sécher des chaussures mouillées il existe pour moi trois choses à faire :
La première est de placer ces semelles intérieurs en sandwich avec ces vêtements secs que l’on utilise en guise d’oreiller. La deuxième est de mettre dans ces chaussures quelque chose d’absorbant, pour ma part j’utilise ma serviette en microfibre. Enfin des chaussette propres absorberont l’humidité de la chaussure au matin (il faut trois chaussettes propres afin de tout absorber en moins de trois heures), il est donc assez conseillé de dormir avec ces dernières humides afin qu’elles se retrouvent sèches au matin.
Je m’égare de nouveau le lendemain mais cette fois j’arrive à mieux anticiper mon erreur et à la rectifier. Je suis heureux de progresser. Je descends une longue plaine où vaches et biquettes broutent un peu de partout ; des souvenirs d’écosse ressurgissent brusquement et me laissent rêveur quelques minutes.
J’entre dans le village de Nehrovets. Un vieil homme vient à moi et m’invite à venir boire une bière en sa compagnie. Yurii est assez marrant dans son genre, très attachant malgré la barrière de la langue. Je sors l’harmonica afin de lui jouer quelques notes. Dans la foulé de sa joie il m’offre une deuxième bière, puis une troisième… J’abdique au bout d’un litre et demi puis le quitte après lui avoir offert la petite cuillère en bois que j’ai sculpté. Je marche en slalomant sur la route qui ne me semble plus trop droite tout d’un coup.
Je passe Kolochava puis monte la colline afin de passer de l’autre côté. C’est soudain la grosse averse, le sentier se transforme en rivière et j’arrive au hameau deux heures après bien trempé. Je marche au milieu de la rue de sable ; un gosse de dix ans passe en vélo tenant dans ces mains une énorme faux, un groupe de personnes s’occupe de découper un cochon sur une pile de parpaings, un autre s’affaire à empiler de longs rondins de bois sur des carrioles. Un homme m’offre un café ainsi que deux litres de jus de cassis maison. Je poursuis jusqu’à vingt et une heure la marche et campe au milieu de deux villages. Marcher les pieds mouillés les rends en fin de journée très douloureux.
Je réalise que j’ai aujourd’hui dépassé les premiers mille kilomètres de ce troisième départ. Mes chaussettes, pour fêter cela, ne semblent pas avoir trouvé mieux que de faire apparaître leurs premiers trous au niveau du talon. Cela sera désormais un peu de couture de rafistolage presque tous les deux jours.
Un bol de porridge au miel avalé au matin puis je trace sur dix kilomètres à travers une multitudes de petites bourgades. Je suis très excité à propos des futurs jours : une succession de crêtes parmi les plus longues et sauvages du pays. J’arrive devant un passage qui me permettra de rejoindre les hauteurs. Mais j’ai soudain un doute car deux montagnes se trouvent être presques identiques en tout point sur la carte . Je traverse une large rivière qui achèvent mes chaussures ayant presque fini de sécher. Je cherche un sentier pour rejoindre la crête mais il n’y a rien du tout mise à part de gros amoncellements d’orties et de ronces. Je commence à gravir la pente mais commence à comprendre que je me suis trompé de montagne. Je perds une grosse heure à rejoindre l’autre tout en m’engueulant sérieusement à haute voix.
Rien de tel qu’un tas de reproches hurlé par soi-même afin de mieux les comprendre et les accepter.
Je commence la grimpette de la bonne montagne. Je traverse une véritable barrière de végétation, puis arrive dans la forêt qui est plus dégagée. J’ai huit-cent mètres de dénivelés à monter, la pente est très raide mais je suis désormais rassuré quant à la bonne direction. Il est toujours plus facile de fournir des efforts plutôt que de faire face à des hésitations et des questionnements. Je me suis souvent égaré mais ne me suis jamais perdu. C’est mon point fort en même temps que mon point faible. Mon engueulade de tout à l’heure avec moi-même était à ce sujet.
Je mets deux heures à atteindre le haut de la crête. Une nappe de brouillard arrive d’un coup, couvre absolument tout puis disparait aussi vite. Je fais une petite pause afin de souffler un peu. La hauteur me fait un bien fou au niveau moral ; tout redevient clair généralement avec l’altitude, un peu comme si les doutes, les peurs et les appréhensions se sentant soudain pris de vertiges, décidaient de rester hanter les vivants du plancher des vaches.
Je retrouve un chemin balisé puis marche le long de l’arête qui ne fait que monter et descendre. Je croise trois randonneurs polonais en sens inverse. Ils me disent avoir mis trois jours afin de faire ce que j’aimerais faire en deux fois moins de temps. Je connais toutes les techniques afin de se faire offrir de la nourriture, techniques que je n’utilise que très rarement. Mais je me rends compte que je n’ai vraiment pas grand-chose et je m’ose à leur faire subtilement comprendre cela.
-Oh mais il nous reste deux plats déshydratés si tu veux, on arrive normalement demain matin et on en a plus du tout besoin ! dit l’un des randonneurs tout en ouvrant son sac et en me tendant les précieuses victuailles.
Je repars tout content pour une heure supplémentaire. J’arrive au début des hautes crêtes que j’aurais à suivre. Le soleil déclinant offre une formidable luminosité éclairant un horizon sans fin de montagnes. Un hennissement retentit, puis un deuxième : une dizaine de chevaux en semi-liberté sont en train de s’abreuver dans une petite flaque d’eau. Le moment est magnifique, magique. Je m’approche d’eux tranquillement tout en prenant de belles photos. Un poulain et sa mère cours autour de moi, un grand étalon noir les imite avant d’être suivi par le reste de ces magnifiques quadrupèdes. J’ai l’impression d’être dans une scène du seigneur des anneaux.
Les pieds et la non-dépendance des routes confèrent à la marche nomade une façon merveilleuse de sortir des sentiers battus et rebattus, d’apercevoir enfin l’envers du décor des pays.
Je plante ma tente juste à côté d’eux après avoir récupéré un peu de bois pour me faire cuire une des rations offerte par mes gentils randonneurs. L’étiquette indique un prix de presque dix euros ; c’est mon budget pour cinq jours !
C’est la pleine lune ce soir, je reste longtemps dehors tout en prêtant l’oreille à ce beau silence intérieur qui m’apaise.
Un troupeau de moutons, le berger ainsi que ces deux chiens me servent de réveille-matin. Je commence la journée tout enjoué du paysage autour de moi. Tout n’est que hauteurs dégagées et longues crêtes. Je retrouve mes chevaux d’hier en compagnie d’autres de leurs amis. Un curieux s’avance vers moi et se laisse caresser. Deux cavaliers arrivent, ce sont deux jeunes qui me toisent d’une façon très hautaines avant de commencer à hurler auprès de leurs chevaux afin de les rassembler. Ces imbéciles à moitié bourrés n’arrivent pas à se faire entendre et gesticulent de plus belle.
Une heure plus tard je fais l’improbable rencontre de deux parents avec leur petite fille en train de marcher à leur côté. Ils parlent un peu anglais et m’explique leur beau projet :
– Nous avons décidé de partir pour huit jours de marche avec notre enfant de six ans. Afin de ne pas la fatiguer on porte toutes les affaires puis marchons entre cinq et six kilomètres maximum par jour. Elle semble bien apprécier la montagne en tout cas !
Cette famille est mon rayon de soleil de ma journée. Quelle meilleure éducation peut-il y avoir que la marche en nature… Loin des stupides tablettes, jeux vidéo ou odieuses télévisions.
Nous nous arrêtons tous ensemble afin de partager notre déjeuner. Andrew me montre fièrement son harmonica puis me dit avoir commencé l’apprentissage de ce bel instrument la veille. A sa surprise je sors le mien et lui enchaine plusieurs morceaux. Il est tout enthousiaste, je lui mets sur papier quelques tablatures assez faciles.
Leur fille Zoé est adorable, toute curieuse et pleine de joie dans ces jolis yeux.
Je marche quatre heures d’une traite tout en pestant contre les nuages présents qui me font rater une bonne partie de mes photos. Mais l’ambiance de ces crêtes m’offre un souffle de liberté si grandiose que je ne m’en formalise pas beaucoup. Je ne rencontre plus personne jusqu’au soir alors que j’arrive tout gelé par le vent du nord sur un beau sommet à mille-huit-cent mètres. Ma tente est plantée et j’ai même pensé à apporter du bois sec afin de me faire cuire ma tambouille. Je reste dehors à observer le soleil couchant avec mon sac de couchage en guise de couverture.
Le petit déjeuner se compose des restes de mes provisions. Je fais du « up and down » tout le matin en alternant les beaux sommets. Avec mon trépied en carbone je prends beaucoup de temps pour la photo. Patientant par moment pendant dix minutes afin d’attendre que le soleil daigne bien à réapparaitre. La silhouette d’un randonneur est pour moi une fantastique définition de liberté. A l’aide du retardateur et de quelques courses pour me retrouver à la bonne place, j’essaye tant bien que mal à prendre ces « clichés de liberté ».
J’aperçois la vallée en contrebas ; je suis affamé et imagine déjà le bon gouter que je m’apprête à faire dans moins de deux heures. Je croise un couple d’ukrainiens charriant de gros sacs à dos. Ils marchent depuis près de dix jours à travers les Carpates et comptent continuer encore pour deux semaines. Venant de là où je me dirige ils me donnent plusieurs bons conseils pour la suite. Ils m’offrent de plus leur carte au 1/50 000 ème, bien plus précise que la mienne au 1/75 000 ème.
Une rivière fait mon bonheur l’espace d’une heure. Je lave à grandes eaux mes vêtements imbibés de sueur et de crasse. Je fais de même pour mon corps qui en avait encore plus besoin. Le bonheur est tellement immense une fois sec et propre.
J’arrive sur une route goudronnée vers le village de Kvasy. Un panneau indique l’exact centre géographique de l’europe à moins de quarante kilomètres ; qu’est-ce qu’il ne faut pas inventer afin de promouvoir une région tout de même.
J’entame ma dernière ligne droite avant l’entrée en roumanie ; c’est mon dernier ravitaillement en ukraine. Il me reste l’équivalent de neuf euros en hryvnia. J’arrive à trouver une petite épicerie dans laquelle j’essaye tant bien que mal de dépenser le reste de mon argent. J’ai beau avoir pris cinq jours de nourriture ainsi qu’un bon gouter pour l’immédiat, il me reste toujours et encore une liasse de petits billets que je n’arrive pas à écouler tellement les prix sont bas. J’aurais eu au moins le mérite d’avoir bien fais rire la grand-mère gérant la boutique.
Je n’ai pas du tout envie de dormir dans la vallée. L’air y est lourd, la chaleur insupportable, le vent absent et les alentours bruyants et sales. De plus j’ai remarqué que mes rêves prennent une toute autre consistance passé les mille-deux cents mètres.
Le sentier monte et zigzague à travers de silencieux alpages, de beaux rapaces ratissent le ciel en quête de proies et de contemplation, le soleil déjà bien bas est à sa meilleur heure pour une marche sans étouffer de chaleur. J’avance pendant une heure trente avant d’arriver près d’un vestige de bâtiment érodé par le temps. Une dizaine de tentes sont plantées tout autour. L’ensemble de ce dernier massif que je compte traverser est sans doute le plus fréquenté de tout le pays. La raison est que l’Hoverla, la montagne la plus haute de l’ukraine y trône en son centre. Un accès par une route à moins de deux heures de marche du sommet a rendu l’endroit très touristique et facile d’accès.
Je plante ma tente au milieu de tout plein de joyeux campeurs. J’ai à peine le temps de sortir mes affaires qu’un groupe m’invite à se joindre à eux. Comme toujours la surprise se lit dans les yeux lorsque j’annonce que non seulement je ne suis pas ukrainien mais qu’en plus je suis français. Les très rares étrangers sillonnant les montagnes sont généralement soit polonais, soit slovaques. Les roumains ne viennent pratiquement jamais, ils n’ont d’ailleurs pas forcément de raisons à cela, possédant les plus hautes et plus belles montagnes de toutes la chaine des carpates.
Je suis tombé sur une dizaine de professeurs des écoles étant partis pour marcher une semaine dans les montagnes. La tablée est pleine de nombreuses victuailles appétissantes. L’eau de vie et la vodka maison sont bien sûr en évidence au milieu. J’arrive cette fois à négocier un maximum de deux shooters. J’apprends qu’ils ont emporté pas moins de soixante-dix kilos de nourriture, alcool non compris. Autour d’un gros plat de bortsch, ceux qui parle anglais me racontent leurs vies à la capitale, les nombreux conflits avec la russie depuis ces quelques années. La vie en ukraine ne semble pas utopique lorsque je les entends parler de leurs salaires mensuels ne dépassant pas l’équivalent de quatre-vingt euros. Beaucoup parlent de quitter le pays dans quelques années.
Ils chantent des chants traditionnels près du feu tandis que l’un des leurs m’explique en détail sa passion de fabrication de couteaux depuis l’âge de quatorze ans. Son anglais est pauvre mais ces paroles sont très riches.
Ces rencontres me font du bien ; il est vrai que je n’ai pas rencontré grand monde avec qui discuter depuis ces deux dernières semaines.
Je pars seul aux aurores afin de mieux profiter de la quiétude des chemins. Arrivée sur quelques hauteurs, j’avance au milieu d’une longue pente remplies de myrtilles. Un troupeau de mouton est conduit par un berger en train de jouer des morceaux de flute ; ce bon bougre ne me parait pas désirer autre chose que d’assister tranquillement à la prochaine seconde de son existence.
J’arrive au pied du Petros, un mont dépassant les deux-milles mètres. Un randonneur solitaire est en train de plier sa tente à côté. Il vient à moi avec un grand sourire. Ces yeux paraissent être bien seul au milieu de toute ces montagnes.
Volodia a vingt ans et c’est la première fois de sa vie qu’il part marcher en solitaire. Il me dit être parti depuis trois jours et compte continuer encore trois ou quatre. Il me ramène soudain à ma propre image d’une marche d’une semaine que j’avais fais seul lorsque j’avais son âge. Cela me parait d’un coup tellement loin. Notre chemin sera le même pour les deux prochains jours, je lui propose de marcher ensemble. Je lui aurais annoncé que noël serait pour demain qu’il n’en aurait pas été plus surpris et heureux.
Nous atteignons le sommet du Petros ensemble. La vue est dégagée et offre un magnifique aperçu de la montagne Hoverla se dressant à moins de dix kilomètres. Nous repartons tous les deux sans nous arrêter de discuter.
-Tu ne peux pas imaginer à quel point cela me fait du bien de marcher avec quelqu’un, c’était vraiment bizarre de se retrouver seul avec soi-même pendant deux jours entier… En plus je me suis perdu toute la journée d’hier pour finalement me retrouver bien éloigné de l’endroit où je voulais arriver…
Volodia ne connait pas grand-chose à la randonnée. Il boit chacune de mes paroles lorsque je lui explique tous mes conseils et astuces. J’ai cette impression d’être devenu une sorte de mentor à son égard.
Nous arrivons au pieds de l’Hoverla ; quelques gros camions tout terrain arrivent par moment, plein de randonneurs paresseux d’avoir à marcher la marche d’approche nécessaire. Nous arrivons au sommet après une grimpe assez facile. L’endroit est une large étendu de près de cent mètres de diamètre. Au centre est érigé un imposant obélisque en béton ainsi qu’une grande croix en métal dont des centaines de petits drapeaux de l’ukraine sont accrochés en son bas. Il y a bien deux cents personnes présentes de presque tous âges, chantant, prenant des photos, buvant des toasts d’alcools traditionnels. Cette ascension est apparemment un véritable pèlerinage fait par plus de vingt-milles ukrainiens chaque année. Un journaliste ayant appris ma raison de voyage par Volodia me fait passer une interview vidéo. Une trentaine de personnes tiennent ensuite à faire des photos en ma compagnie. Enfin débarrassé de ces nouveaux amis un peu trop collant je reste à profiter de la vue en compagnie de Volodia. Le panorama à trois-cents-soixante degrés est époustouflant de beauté.
Alors que je suis en train de coudre mon écusson du pays sur mon sac à dos je suis pris d’une soudaine envie de dormir ici. Volodia me confit que c’est l’un de ces grands rêves. La foule se disperse peu à peu, nous plantons nos tentes ce soir à deux-mille-soixante et un mètres d’altitude. Le vent arrive et chasse les dernières personnes. Les corbeaux les remplacent tout en planant majestueusement autour de nous. Nous mangeons un repas de fête sous ma toile de tente : soupe de nouilles à la saucisse, purée de mais écrasé au miel, biscuits, chocolat puis un bon thé ukrainien.
Le vent hurle à l’extérieur, une brume épaisse vient couvrir l’horizon tandis que la nuit s’installe progressivement. Nos lampes torches éclairent nos deux petits dômes secoués par les puissantes rafales. Nous parlons longtemps ; je lui relate mes deux années de marche, ce que j’en ai retenu pour l’instant, ce que je discerne à travers ce mode de vie. Il me raconte ces rêves et ces projets.
Nous sommes cette nuit les deux personnes les plus hautes de tout le pays.
Une mer de nuages nous encercle au réveil ; nous nous sentons sur une planète étrangère tout d’un coup.
Nous partons sous un temps splendide. Toute la journée nous avançons sur les crêtes de belles montagnes. Cela me fait vraiment bizarre de marcher avec quelqu’un à mes côtés ; cela me rappelle ma marche de dix mois avec François. Je me rends compte que la solitude est vraiment devenu une amie proche lorsque je me surprend par moment à vouloir être de nouveau seul. Cela me fait un peu peur tout d’un coup.
Je fais subir à Voloda un véritable entrainement aujourd’hui : Je lui apprend à correctement régler son sac à dos, à l’équilibrer, les bases de l’alimentation en randonnée, la lecture de cartes. J’essaye aussi de lui montrer l’importance d’arriver à apprivoiser la solitude, cela en commençant tout d’abord par l’absence de contact trop régulier avec ces proches… Il s’y prend assez mal, appelant son père trois à quatre fois par jours…
Alors que le soleil s’apprête à se coucher nous arrivons au sommet du Pip Ivan, à deux-mille vingt-huit mètres. Un énorme bâtiment rongé par les années trône majestueusement. C’est apparemment une ancienne station météorologique démantelée à la fin de l’époque soviétique. Nous rencontrons le gardien des lieux, un jeune ukrainien qui nous informe que c’est le plus haut bâtiment de toute l’ukraine. Son travail est atypique : une semaine par mois il se rend à pied à cet endroit puis se contente d’envoyer des rapports journaliers de quelques mesures faites à l’aide de ces appareils météorologiques.
C’est ma dernière nuit en ukraine. J’arrive normalement demain en roumanie. Je scrute le sud tout en apercevant les montagnes de ce prochain pays. Mon esprit est ailleurs. Je me met à rêver à ces prochains sommets et monts que je m’apprête à gravir.
Le marcheur nomade voit son futur à travers une unité de mesure qui lui est bien propre : les kilomètres. Le temps qui cours ne concerne que celui qui n’est pas en mesure de le distancer. J’aime tellement cette absence presque totale d’horaires et d’emplois du temps à respecter, ces journées qui par moment prennent une alchimie tellement différentes et particulières de par leur seul réalité autour de vous. Réalité dont vous n’avez pas cherchez à modifier, à empoisonner, à gâcher ou à contrôler.
Le soleil se couche sur un horizon d’une incroyable longueur. Nous voyons chaque couche de montagnes prendre une teinte différente et unique. Je pars seul sur un rocher en contrebas. Le vent me glace mais je n’en est cure tellement le spectacle est beau.
Je rejoins ensuite Volodia afin de manger le repas dans ma tente. L’ambiance est belle. Nos chemins se sépareront le lendemain matin. Il lui reste deux jours de marche afin de rejoindre la fin de sa randonnée.
Au réveil c’est deux journalistes qui me surprennent à peine sortis de ma tente.
– Le gardien du Pip Ivan nous a hébergé cette nuit et nous a informé qu’un français traversait l’ukraine à pied ! ça serait possible d’avoir une interview ?
Ce sont deux étudiants prétentieux ayant tout juste finis leurs études qui se tiennent devant moi. Ils me posent de stupides questions, n’arrêtent pas de me filmer et photographier même après l’interview finit puis comble d’énervement continus même lorsque je fais mes adieux à Volodia.
Je descends un long pierrier tandis que je pense à ces deux jours passés en compagnie de Volodia. Lui avoir enseigné les fruits de mon expérience de marcheur m’a fait du bien. Il m’a dit lui avoir ouvert les yeux sur beaucoup de choses.
L’effet de la solitude revient sur moi à la manière d’un boomerang. C’est toujours un peu difficile ces retrouvailles. Mais je suis désormais concentré sur les prochaines heures de marche qui vont suivre : la frontière de la roumanie est à une quinzaine de kilomètres et je compte la franchir en toute illégalité. Seul le passage par des postes frontières est autorisé et le plus près est à plus de soixante-dix kilomètres à l’ouest. Je n’ai pas du tout envie de marcher cette distance pour une stupide formalité de tampon.
J’ai repéré un endroit sur la crête où il me sera assez aisé de descendre la montagne pour ensuite rejoindre un village roumain juste après.
J’arrive au mont Stih. Un militaire armé d’une grosse mitraillette sort d’une cabane en bois puis contrôle mon passeport. Je lui fais comprendre que je compte juste suivre le chemin longeant la frontière. La pression monte encore un peu plus lorsque je croise deux kilomètres plus loin une patrouilles de quatre autres militaires qui me contrôle de nouveau. Il m’arrive la même chose trois kilomètres plus loin. Je suis arrivé à l’endroit repéré sur ma carte. Profitant d’un temps mort je profite de l’occasion pour franchir la frontière puis me lance à travers la pente. Des voix venant du sentier me parviennent aux oreilles tout d’un coup ; je reste caché derrière un buisson tandis que j’entends les bottes de cuir passer pas loin de ma cachette. J’ai le cœur qui bat la chamade. Je n’ose pas trop imaginer quels ennuis je pourrais récolter si jamais on me surprenais.
Je suis loin d’être tiré d’affaire car je reste voyant encore de partout tout autour. Je passe d’arbre en arbre, traverse les ronces et broussailles en grimaçant à chaque craquement de bois que je fais. Je suis dopé à l’adrénaline, j’adore cela.
J’arrive enfin à rejoindre une rivière tout en bas. Je réalise que je suis assez caché dans le lit de celle-ci. Je marche une heure en sautant de pierres en pierres. Un chemin de forestier m’apparait. Tous mes sens sont aux aguets quant à l’apparition d’une présence humaine. Je continu une heure supplémentaire sans croiser personne. L’endroit semble vraiment paumé.
J’aperçois un regroupement de caravanes d’où s’échappe de la fumée. Quatre roumains me regardent passer en ne semblant pas trop comprendre de l’endroit d’où je viens. C’est vrai que je suis entré dans les Maramures, une région du nord de la roumanie considérée comme la plus sauvage et authentique du pays.
Je poursuis jusqu’au soir à travers ce bas de vallée étroit. Epuisé de ces derniers jours ainsi que de cette épuisante après-midi de tensions je m’arrête à deux heures de marche des premières habitations. Une petite cascade m’offre la plus belle des douches tandis que mon feu me prépare mon habituelle soupe de nouilles. Ça y est j’y suis arrivé, je me dis en soufflant un peu. Je suis entrée en roumanie… Encore un chapitre qui s’ouvre tandis qu’un se termine. Je me force à écrire dans mon carnet un résumé de ce que l’ukraine m’a laissé comme « étincelle de souvenirs ». J’écris des mots comme « sauvage », « beau », « authentique », « simple » ou encore « immersif ».
Je regarde la piste qui me conduira demain au village. Je regarde mes chaussures qui me porteront peut être encore huit-cent kilomètres. Je regarde ma tente qui m’abritera jusqu’à la fin de ce voyage. J’écoute enfin mon cœur qui me guidera toute ma vie.
Jérôme
je suis content que tu ai reçu mon message.je viens de regarder ton ressit,c’est magnifique.quel courrage,mais qu’elle belle aventure.je vais essayer de recontacter françois.ne t’inquiette pas,nous pensons aussi fort a l’un comme a l’autre.allez’bon courage pour la suite.plein de bonnes pensées de notre petit de partement de la manche..a bientot.
Récit lu , graaav bien,
PS : ils sont revenus