Marcher avec un compagnon… Lorsque deux ans avant je me rappelle rêvant en me projetant dans ce voyage, je n’imaginais pas ce côté très dure qui est de vivre avec une personne quotidiennement 24h sur 24. Je me disais qu’étant donné que François et moi étions amis depuis le lycée, il y aura bien sur des coups durs mais rien d’insurmontable… Je reconnais aujourd’hui m’être trompé là-dessus.
Des maladresses, des paroles blessantes où le temps et la distance nécessaire à les panser ne sont pas disponibles, des différences de caractères, de points de vue et d’états d’esprit, des comportements et envies divergents, tout cela se vie dans le voyage et le perturbe à certains moments…
Etre compagnon de voyage avec quelqu’un, c’est accepter de renoncer à une certaine liberté de mouvement et de décisions; En effet à chacune des envies de l’un d’entre nous, que se soit pour savoir à quel moment s’arrêter, si on prend telle ou telle route, ou encore marcher plus ou moins loin dans la journée, la décision de chaque chose doit être discuté préalablement… Au début du voyage nous partagions absolument tous (mise à part le sac de couchage of course!!), et bien que se « partage » nous paraissait une bonne chose il nous est vite apparus que trop de partages tuait celui ci !
Comme je l’avais mentionné dans le précédent récit nous faisions désormais nos courses de façon individuelle et cela a déjà mis une distance très appréciable entre nous.
Deux mois de marche environ nous séparaient du Cap Nord, deux mois de montagnes où nous ne pensons pas forcément rencontrer beaucoup de monde… Vivre à deux commençait à devenir assez dure ; J’ai eu cette impression que ce voyage nous avait en quelques sortes montré une voie différente pour chacun de nous, une voie que l’on se devait de suivre, de lui faire confiance… Mais la promiscuité vis-à-vis de nous deux rendait cela assez difficile…
Nous avions remarqué, bien que l’expérience nous ait été donnée juste à deux reprises, que le fait de marcher avec une nouvelle personne nous apportait de nouvelles ouvertures ; En plus d’une distance bénéfice que cela mettait entre nous, cela nous offrait de nouveaux états d’esprits, de nouveaux modes de vie ainsi que un certain épanouissement.
Après donc avoir traversé le petit village de Kvikkjokk (je vous rassure j’ai jamais réussi à le prononcer correctement !) nous trouvons la station de montagne qui est en fait un regroupement de bâtiments abritant un minuscule supermarché (ou plutôt devrais-je dire un minimarché), un restaurant, des informations sur les montagnes et une sorte d’auberge de jeunesse pour les randonneurs.
En arrivant sur place, un homme se trouvait à côté de nous ; En face de lui se tenait son vélo, ou plutôt un vélo-couché semblant avoir été customisé par l’inspecteur gadget en personne ! Des portes bagages un peu partout, des rétroviseurs, une sorte de grand pare-brise en plexiglas sur le devant, des roues de rechange qui pendaient derrière l’engin ainsi que tous pleins d’autres systèmes plus ou moins délurés.
Nous entamons la connaissance et faisons connaissance avec ce personnage quelque peu démarquant :
Robert, un Allemand de 48 ans dont le fait d’avoir une petite vie banale ne semblait pas l’avoir tenté, voyageait dans l’Europe entière à vélo ou à pied. Il retournait en Allemagne presque chaque année afin de passer l’hiver et travailler un peu pour gagner de quoi vivre le reste de ces voyages. Il nous montra sur la carte de l’Europe un peu tous les endroits où il était passé, ainsi que les aventures et mésaventures lui étant arrivé. Impressionnant !
Sa personnalité était vraiment étonnante, il ne semblait pas forcément tenir dans son cœur les humains et trouvait quelque peu inadmissible le fait d’utiliser un moyen motorisé pour aller voyager.
Autant vous dire que le courant est très vite passé lorsque l’on lui a informé que l’on venait de France à pied !
Nous parlons pas mal de temps ensemble et au fil de la conversation Robert vint à nous demander si sa nous dirait de marcher avec lui étant donné qu’il se rendait à Abisko. Il venait d’arriver à Kvikkjokk et avait comme idée de déposer son vélo à la station puis faire un circuit dans les montagnes sur environ 20 jours. Nous ferions donc la moitié de son parcours avec lui. Bien sur comme il le disait si bien, nous étions tous des «Free mans», et pour cela autant commencer par marcher une journée ensemble puis décider au fur et à mesure si l’on continuerais.
Etant donné que l’on avait à faire des courses pour plus ou moins 10 jours d’autonomie, nous nous quittons après qu’il nous ait indiqué un bon coin de bivouac.
Nous trouvons une autre boutique à un kilomètre de là. Un tout petit peu plus grande que la précédente, celle là ne devait même pas excéder les 4 m². Malgré les prix assez élevé, nous trouvons chacun notre bonheur : Muesli, pates, miel, porridge, Wasa, tubes de fromage et bacon, et même la spécialité du coin : Une sorte de saucisse précuite dont la gérante de la boutique nous fit cadeau.
Nous trouvons l’endroit que Robert nous avais indiqué puis installons le campement. Nous occupons le reste de la journée à préparer les sacs pour le lendemain, à se renseigner sur les prochaines étapes puis à se reposer suite aux derniers jours bien fatigants.
Le soir arriva puis Robert nous rejoignit afin de camper avec nous. Un couple de voyageurs Hongrois et Allemand qu’il avec rencontré durant l’après midi se joignirent à nous puis vint en dernier : Thomas !! Et oui nous l’avions revu alors qu’il s’était pris deux journées de repos au camping du village ! Nous passons donc la soirée avec tout se pti monde, à fêter l’anniversaire de Jane devant un bon Gewurztraminer, à faire cuire des champignons ramassés et à refaire le monde tout en massacrant par moment la belle langue de Shakespeare !
Le lendemain matin, nous partons tous les quatres en direction des montagnes ; Tout les quatres ? Thomas a finalement décider de se joindre avec nous !
Malgré la pluie et les moustiques, nous avançons d’un bon pas à travers une forêt bien sauvage ; La marche fut vraiment agréable car nous avancions désormais en « groupe », à échanger des anecdotes de voyages à rire, à apprendre à mieux se connaître…
Mon sac à dos, chargé à bloc de victuailles, pesait pas moins de 29 kilos, et ajoutez à cela de bonnes montées ainsi que quelques marécages et vous saurez à quel point il m’en a fait transpirer ! Ma gourmandise me perdra….
Mais alors que nous quittions la forêt pour entamer une bonne grimpette à travers la montagne, un soudain CRAC venant de mon sac me fit grincer des dents. Je le dépose et m’aperçoit que la 2ème tige métallique venait à son tour de se fendre en deux ! Les constructeurs Millet sont bien gentils avec leurs matériels de plus en plus légers, mais ils devraient quand même garder en tête qu’il ne faut pas en diminuer la solidité pour autant…
Nous montons de plus en plus haut et continuions sur les flancs, où le panorama, couplé aux reflets du soleil, rendait cela saisissant.
Un refuge était censé se trouver quelques kilomètres plus loin aux abords d’une forêt et nous le trouvons enfin après cette grosse journée d’efforts. L’abri étant trop petit pour nous tous, nous plantons nos tentes à l’extérieur et allumons chacun un petit feu pour cuire notre tambouille. Robert possédait de même que nous un réchaud à bois qu’il avait fabriqué ; Très ingénieux il nous donna même plusieurs bons conseils à propos de ce type de réchauds.
Au cours de la soirée, un randonneur arriva au refuge ; C’était un jeune Hollandais du nom de Bart, étant venus faire une randonnée de quelques jours afin d’aller voir le fameux parc naturel de Sarek. Ce parc étant considéré comme un des plus beaux et plus sauvage d’Europe.
Nous passons donc la soirée à cinq, à se faire cuire des bons champignons ramassés dans la journée puis à discuter de nos vies.
S’il y a une chose que je ne supporte pas c’est de me réveiller baignant dans la sueur et la crasse ! Heureusement une rivière ne se trouvait pas loin et je me suis pratiquement jeté dedans au petit matin !
La matinée se passa plutôt tranquillement, il faisait beau, la forêt était belle et une faible pente était présente. A peine deux heures après, un immense lac se dessina au loin, baignant dans la beauté des montagnes ; Le parc de Sarek…
En arrivant sur la berge, nous constatons que seule une barque était disponible pour faire la traversée. Et comme cette dernière faisait près de trois kilomètres de long cela signifiait que nous aurions à le faire trois fois ! (voir dans le récit précédent, le système des trois barques)
François, Thomas et Bart partirent en premier afin d’aller chercher en remorque la deuxième barque ; Tandis que moi et Robert attendions sur la rive. J’en profitai pour m’occuper de mon sac à dos ; Même technique que la dernière fois, espérons que cela tiendra !
Deux heures après leur départ voila que la barque revient ; Apparemment le vent était si fort qu’ils avaient fait que ramer en sur place pendant tout se temps…
Il fallait donc attendre qu’il se calme si l’on voulait traverser ce lac.
Thomas, bien fière d’avoir tenté à y arriver, décida de prendre le boat taxi censé passer dans les prochaines minutes puis de continuer la marche seul.
Nous nous retrouvions désormais à quatre. Décidé à mettre toute les chances de notre côté, nous consolidons la barque et fabriquons une pagaie supplémentaire. Il nous fallait être prêt à tous moment si jamais le vent venait à se calmer.
Nous discutons de mieux en mieux avec Robert et je dois dire que sa personnalité vraiment hors du commun en devient en quelques sortes une source d’inspiration ; Il nous a confié ses trois règles : La légèreté, la simplicité et la lenteur. Cela s’appliquait tant à son matériel qu’à sa manière de vie…
Le vent ne faiblissait pas et nous décidons finalement de planter les tentes. Mais alors que cela faisait à peine dix minutes que je m’étais glissé dans mon duvet, Robert vient nous avertir que le moment était propice et que nous devions partir maintenant.
Branle bas le combat pour tout le monde, et 15 minutes après nous étions installé dans la barque; Bart au gouvernail et Robert aux rames. Il devait être vers les 1 h du matin mais on se serait cru comme au petit matin.
Le froid était quand même assez poignant et enfin, après un temps interminable, nous atteignons le côté opposé. Malgré la fatigue il fallait faire encore un aller et retour afin de ramener une barque sur la première rive.
C’est donc après avoir mis en remorque une autre barque que François et moi faisons la traversée deux fois de plus…Vraiment crevant mais les paysages autour de nous à cette heure là prenaient une telle couleur que les heures passèrent à une toute autre vitesse.
Le lendemain, Robert nous informa qu’il avait l’intention de faire un détour afin d’aller apercevoir le delta de Laitaur, l’emblème en quelques sorte du parc de Sarek. Après avoir réfléchi nous acceptons de le suivre.
Nous quittons donc les sentiers et arpentons une montagne verdoyante. Quelques milliers de moustiques plus tard nous arrivons au sommet et suivons les crêtes. Le point de vue que l’on voulait atteindre était une sorte de falaise qu’il nous fallait monter à travers de gigantesques pierriers. Afin d’être plus légers nous cachons nos sacs derrière un gros rocher et entamons la montée.
Une heure après nous arrivons en haut et découvrons de nos yeux ébahis un paysage comme jamais je n’ai pus en voir de toute ma vie : La vue s’offrait sur toute les montagnes des alentours, le lac que l’on avait traversé hier baignait de lumière et de beauté et la chose la plus fantastique c’était ce que ce dernier se transformait à un point précis en une multitude de petits canaux naturels, ondulant à travers l’espace un peu comme un labyrinthe dont le seul architecte n’était autre que dame nature. Du haut de la falaise, à plus de 500 mètres de ce delta, nous restons immobile, fascinés voir même hypnotisés par chaque centimètre carré de ce que nos yeux contemplaient.
Nous réussissons à nous résoudre enfin à partir puis faisons nos adieux à Bart, car le but de son voyage étant atteint, il repartait à Kvikkjokk pour ensuite revenir en Hollande.
Nous coupons à travers la montagne afin de rejoindre la Kungsleden quinze kilomètres plus loin.
Le soleil déclinant nous offrait de telles teintes de couleurs au milieu de ces steppes que Robert nous dit qu’il arrivait à sentir l’esprit de la montagne autour de lui… Et il vint, plus par la forme de centaines de rennes nous encerclant pour ensuite se fondre parmi l’immensité des étendus. Nous continuions à marcher, dans un silence presque religieux, pour enfin arriver au sentier.
Répartition des taches : François s’en va chercher de l’eau tandis que moi et Robert nous nous occupons d’aller ramasser du bois sec.
Petit feu, petite pates, petit bonheur…
En arrivant sur la berge d’un grand lac, quel fut notre soulagement lorsqu’on aperçut deux barques ; Ouf, une seule traversée suffira, surtout que d’après la carte, celle-ci faisait quatre kilomètres de long.
Après un rapide plouf dans l’eau nous embarquons. Du beau temps, pas de vent, une eau limpide, de beaux paysages et de la bonne humeur !
La route à suivre sur le lac était indiqué par de grosses bouées orange espacées d’environ cent mètres chacune.
Malgré de petites frayeurs suite à des rochers vus à la dernière seconde, nous arrivons à bon port sur l’autre rive.
« Excusez moi c’est bien vous les deux Français ? »
Un sac à dos dont tout son ensemble était tenu par des grosses cordes, une silhouette pas forcément taillé pour le sport, une générosité et une tchatche sans limite, Stanislav était un Russe étant venus marcher pour deux semaines environ sur la Kungsleden afin de prendre du temps pour soi, réfléchir sur beaucoup de choses et vivre en pleine nature. Apparemment il avait rencontré Thomas la veille et celui-ci lui avait parlé de nous. Stanislav semblait être un grand « Intellectuel » et il nous parla longtemps sur des sujets passionnants et nous donna plusieurs «conseils » de vie.
Parmi tous il y en a un que je n’oublierai jamais :
« De la liste des choses que tu as à faire, la plus simple est la plus importante »
Nous quittons Stanislav, après qu’il nous est offert quelques victuailles qu’il avait prit en trop.
Selon la carte la prochaine étape était la station de Saltoluokta, où pour nous y rendre il fallait obligatoirement prendre un Taxi bateau puis ensuite se taper 30 kilomètres de routes goudronnée (ou un bus).
Nous étions nous trois partisans de tout faire afin d’éviter ces deux embêtements.
Robert, ayant été conseillé par le couple de voyageurs Hongrois rencontré à Kvikkjokk, nous montra sur la carte un itinéraire possible en mode « free style » à travers la montagne et les forêts.
Nous tombons tous d’accord pour tenter la chose.
Nous quittons donc les sentiers battus et coupons à travers les arbustes, traversons les rivières et marchons entre de gigantesques montagnes éclairées par le soleil couchant. Seul, sans sentiers, dans le silence profond, nous marchions droit vers l’horizon, l’esprit en paix et le cœur léger.
Nous nous arrêtons près d’un grand lac et montons le camp. Aller chercher de l’eau, ramasser du bois, faire le feu, la cuisine, monter la tente, s’installer pour la nuit, écrire le journal de bord… Tous ces petits rituels que l’on répète chaque jour sont d’autant plus beaux qu’ils sont simples et naturels.
En ce mercredi du 24 juillet de cette belle année 2013, ce fut une journée de pure free style in the mountains !
Levée aux aurores sous un soleil éclatant, nous suivons le lac sur son flanc gauche. De nombreux pierriers jalonnaient le terrain et cela nous ralentissait beaucoup.
Le sentiment de se diriger simplement avec une carte et une boussole était incroyable : On se sentait libre de tout et surtout, en parfaite osmose avec la montagne. Nous passons sur l’autre flanc en disant au revoir au beau lac puis continuions sur une grande étendue de roches. François, alors que l’on traversait une rivière en sautant de pierres à pierres, glissa et tomba dans l’eau ; Plus de peur que de mal, il s’en tira avec une simple écorchure à l’arcade, les chaussures mouillées et un sac humide.
Plusieurs heures après nous apercevons la sorte de barrage que l’on devait atteindre; Mais une jungle d’arbustes, rivières et marécages nous faisaient obstacle.
C’est donc après quelques heures à transpirer, à se faire piquer, à se perdre, que nous débouchons sur un petit sentier qui nous amena tout droit à côté de la route.
Les derniers rayons de soleils se montraient et nous en profitons pour prendre un bain dans un petit lac. Après l’effort, le réconfort !
Nous plantons les tentes un peu plus, loin, sur des petites hauteurs.
Coucher de soleil, un feu, un matelas…
Jérôme
.